• Découverte du Don

    554 Pages / 15 €

      Ce témoignage est rigoureusement authentique. Il m'a fallu près de dix ans de gestation pour enfin parvenir à écrire le mot FIN. À bien des égards, j'ai été obligé de minimiser, voire taire certaines phases dans l'accomplissement de ma mission. J'insiste sur le fait que mon livre n'est en AUCUN CAS à considérer comme un manuel ou un guide spirituel. Richard NATTER

    Découverte du Don

    Préface

     Depuis que le magnétisme existe, il est soumis aux controverses les plus folles. Dans l’imbroglio d’invectives en tous genres, dressant face à face les esprits réfractaires et ceux qui sont investis par cette force mystique, le quidam en perd purement et simplement son latin. Sorciers pour les uns, Bienfaiteurs pour les autres, les partisans des deux bords rivalisent d’ingéniosité, pour soutenir leur point de vue et défendre en toute bonne foi leurs idéologies, discréditant les opposants.

    C’est un dédale d’invraisemblances, et de propos volontairement démesurés. Chacun des représentants de l’une ou l’autre de ces énergies parallèles, dénonce et accuse, dénigre et agresse. Sans ne se soucier de rien d’autre, que de ses propres intérêts. Qu’est-ce que le magnétisme ?

    S’il est indispensable à la vie, et circule dans tous les corps, il arrive à certains individus de pouvoir le transmettre. Magie, sorcellerie, utopie ou dérision ? Il s’agit d’un courant réel, avec lequel on peut rééquilibrer une déficience énergétique. Peut-on apprendre à maîtriser et à transmettre le magnétisme ?

    Trop de spéculateurs m, jouant sur la naïveté d’individus en mal d’émotions fortes, essaient de persuader les esprits crédules de cette possibilité. Je reste convaincu du contraire. Le magnétisme curatif, puisque tel est son nom, ne s’apprend pas, ne se transmet pas, autrement que par le Tout-Puissant, sous forme de DON. Ce roman n’est en aucun cas une méthode nouvelle d’apprentissage du magnétisme. Encore moins un guide. Il n’a pour seule ambition, que traduire ce dont j’ai pris connaissance, au fur et à mesure de mon cheminement sur cette voie sacrée. Mon chemin de vie peut ressembler à beaucoup d’autres. Je n’ai pas non plus — loin de moi cette prétention — le désir plus ou moins dissimulé de convertir qui que ce soit. Encore moins, Dieu merci, le désir encore plus ignoble, de fonder une secte !

    J’ai appris à connaître et à aimer Le Tout-Puissant, grâce à qui je peux enfin discerner le bien du mal, le vrai du faux. Pour vivre en harmonie, il faut accepter et comprendre les souffrances et les sacrifices, parfois extrêmes, qui nous sont imposés. Au-delà des carcans quotidiens, le plus difficile, c’est d’avoir le courage de se regarder en face.

    Cette recherche intérieure est de loin le seul obstacle qui, à mon avis, nous empêche d’être nous-mêmes. Admettre ses défauts, c’est aussi et avant tout, reconnaître les valeurs des gens qui nous entourent. C’est à ce prix qu’il est possible de juguler les faiblesses et de faire naître une paix intérieure.

    Le hasard n’existe pas. Que l’on croie en Dieu ou non, il faut admettre que rien sur cette terre, n’est le fruit de la simple coïncidence. Ce que chacun de nous, un peu trop facilement, a tendance à considérer comme le «Hasard» n’est que l’éclatement de la destinée.

    Notre chemin de vie nous entraîne souvent sur des chemins rocailleux. Nous nous faisons mal, nous nous insurgeons, sans chercher à comprendre. Quand cela nous arrange, le hasard fait bien les choses. Quand tout va de travers, là, nous nous en prenons à tout et à tous, en commençant par Dieu.

    Puis enfin, le jour arrive où, quittant les sentiers battus d’une vie stéréotypée, nous ouvrons grands les yeux. Tout devient limpide et compréhensible. Nous admettons ce qui jusqu’ici, nous apparaissait utopique. Notre hérédité, c’est nous-mêmes qui nous la transmettons, au gré de nos incarnations successives. En arrivant sur terre, nous ignorons notre destin. Nous ne savons pas non plus que notre subconscient contient l’intégralité de ce qu’il nous appartient d’épurer ou plus simplement de comprendre. Autant que notre corps renferme la quantité d’énergie nécessaire, pour accomplir notre mission.

    Tout est programmé, décidé, prévu par le Tout-Puissant. Il nous faut donc le sentir, l’analyser et le subir, avant de l’admettre. Ce dernier fardeau levé, et à ce moment-là seulement, il est possible de parler d’harmonie. La vie, offre à cet instant, toutes ses lettres de noblesse. C’est le début de la sagesse ; amour, tolérance, pardon, partage remplacent avantageusement l’égoïsme, le doute, la rancune et la médiocrité.

    Mon histoire peut être celle de beaucoup de gens. Je la raconte avec amour. Authentique, elle est avant tout un témoignage. Du premier mot à l’ultime scène, tout est vrai. Désolé si d’aventure, quelques faits énoncés peuvent choquer. Elle est dévoilée, non par goût de la provocation, mais avec l’absolu désir d’approfondir et éclaircir par ce biais, une partie de la mission dont je suis investi.

     Pour ma femme et moi, après notre première rencontre, l’aventure a débuté en dents de scie. Nul ne peut contrer la volonté divine. Même si j’avais voulu baisser les bras et renoncer, Dieu m’aurait fait comprendre, à sa façon, que nul n’échappe à son destin. Sans m’en rendre compte, je me suis accroché, en dépit de l’adversité. Après avoir connu ma petite Françoise à une soirée, j’ai déliré en attendant la rencontre suivante, et lutté pour ne pas faiblir. D’étape en étape, j’ai progressivement pris conscience de la valeur et de l’impact de la foi. Sans elle, nous ne parvenons à rien. Ma foi est profonde, mais je ne suis pas «Accroc», au point d’en devenir fanatique. Dieu est mon Ami, mon Guide, et ne sera jamais là pour m’enlever ma personnalité ni faire de moi son esclave. Le Tout-Puissant a établi, déontologiquement parlant, une règle de conduite.

    À nous de l’accepter ou de la réfuter, sans avoir besoin du support des doctrines erronées, édictées par les pourvoyeurs de l’hypocrisie. Il est plus facile de parler d’amour et d’égalité, voire d’équité, pour être sûr de plaire, qu’agir dans l’ombre de l’humilité pour aider son prochain. L’efficacité, à tous niveaux, ne rime pas avec excentricité ; encore moins avec popularité !

     *   *

    *

    CHAPITRE PREMIER

     «Découverte du Don»

      À l’instar de tous les gamins ou presque, dès que j’ai atteint la puberté, je me sentais pousser des ailes. Comme tous les autres, à défaut de volonté personnelle, je voulais connaître l’aventure. Grisé par les récits, attisés par mon imagination, je pensais qu’en fuyant le domicile paternel, j’allais connaître un univers douillet. Si à l’époque, la majorité était à vingt-et-un ans, à peine sorti de l’œuf, je me croyais un homme. Je n’avais pas encore dix-huit ans, et prenais sur moi de prouver au monde entier, que j’étais quelqu’un de bien.

    J’avais l’impression d’étouffer, de végéter, dans cet environnement familial quelque peu obsolète à mes yeux. Ivre de légendes, assoiffé de découvertes, je voulais sans doute prouver aux autres, ce que j’ignorais moi-même. Je me croyais un homme, je me sentais apte à franchir les obstacles, érigés par les conventions de l’éthique et de la foi chrétienne. J’ignorais à quelle sauce j’allais être mijoté durant les années suivantes ! Bref, ardent des mille feux de la soif d’indépendance, je partais fièrement sous les drapeaux.

    Après avoir devancé l’appel, j’embarquais à bord d’un pétrolier de la «Royale». À Tahiti, dépaysement oblige, j’effectuais mon apprentissage sur l’âpreté de la vie. Tout ce qui jusqu’ici me paraissait dérisoire, en ces quelques mois de galère, a eu raison de moi. Je ne voulais pas capituler.

    Orgueilleux avant tout, je n’ai jamais voulu donner l’impression de céder. Tout allait pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Je suis resté ainsi presque deux ans, seul, loin des miens, pour prendre le temps de mieux analyser le fond des choses. Sortant d’un cocon douillet, je ne m’imaginais pas en m’engageant, quelles étaient les épreuves qu’il fallait surmonter, pour avoir l’impression d’exister ? Ces premiers mois de solitude et de souffrance, ont eu au moins l’avantage, de me faire prendre conscience de mes limites.

    J’établissais des comparaisons avec ce que j’avais vécu auparavant. J’avais du mal à le reconnaître, mais dans le fond, je n’étais pas si malheureux que cela. En ce sens, l’isolement aura été bénéfique. J’avais des idées surfaites envers mon pays ? J’en ai mesuré avec émoi, les carences et les lacunes. Pierre par pierre, l’édifice que j’avais érigé s’effondrait. Jour après jour, les méandres de la vie m’ont aidé à prendre conscience des réalités. Mon esprit de patriotisme, mon enthousiasme et mon euphorie en prirent un sérieux coup de vieux. Loin de vouloir «Rempiler», je n’avais qu’une hâte, c’était de rejoindre mes pénates.

     *   *

    *

     Ce que je fis quelques mois plus tard. À mon retour en métropole, la vie se chargea de peaufiner mon éducation. Je voulais tout connaître ? Qu’à cela ne tienne. Je n’avais pas vingt ans, quand déjà, je sentais peser sur moi le poids des responsabilités parentales. Je ne connaissais rien de la vie, en dépit de mon passage sous les drapeaux. Jamais, je n’avais connu ce que les jeunes aujourd’hui, dépensent avec autant de mépris : la joie de vivre. Certes, j’avais eu des aventures. Jamais, au-delà des limites qui m’étaient imposées par mes parents.

    Pas de flirt, pas de sortie nocturne, rien, que les dures règles d’une discipline rigoureuse. C’est pour cette raison sans doute, que dans la foulée en quittant l’armée, je m’engageais à corps perdu dans ma vie d’homme. Bien-être éphémère et illusoire en vérité. Sans même avoir le temps de comprendre ce qui se passait, je devenais Papa. Au nom des sacro-saintes lois des «Principes», imposées par l’église, pour réparer la faute il me fallait épouser celle que le destin avait placée sur ma route.

    Voilà comment, à peine sorti des couches-culottes, je devenais à mon tour un «Monsieur», Papa d’une fillette. Hélas, de telles unions dites «Réparatrices» ne sont jamais génératrices de bonheur. Quelques mois seulement après avoir convolé en justes noces, un premier divorce étalait devant moi son tapis de douleur. Je n’avais pas encore eu le temps de m’habituer à mon rôle de Papa, pourtant réitéré l’année suivant mon mariage, avec la naissance d’un garçon, que je songeais à me séparer de ma femme. Chacun le sien, nous nous sommes quittés heureusement sans trop de bobos.

    Nouvelle vie, nouveaux espoirs. Seul avec ma fille, j’arpentais les chemins sinueux de la vie en solitaire. Je n’avais toujours pas compris ce qui s’était passé. Tout s’était tellement enchaîné et précipité, que je n’avais fait que suivre le mouvement. J’avais encore besoin de téter le sein de ma mère, et je devais me comporter comme un adulte. Tout prenait des proportions démesurées. Ma bonne humeur, ma joie de vivre, s’estompaient graduellement. Plus les jours passaient, plus je réalisais dans quelle galère je m’étais fourré. Je n’étais plus seul. En réalisant enfin que j’étais Papa, loin de paniquer fort heureusement, je décidais de tout mettre en œuvre pour prouver ce dont j’étais capable. Sans savoir et pour cause, que les premiers messages du Tout-Puissant commençaient à me parvenir ! L’homme enfant que j’étais devait se surpasser. Faisant feu de tout bois, je me montrais digne. Éludant les chimères, loin de baisser les bras, je relevais le défi. Jour après jour, ma fille devenait mon unique espoir.

    L’enfant qui en moi, n’avait jamais grandi s’est manifesté plus souvent qu’à son tour. Adulte oui, mais avec un besoin criant d’extérioriser ce qui devait se faire connaître. Ce qui se traduisait le plus souvent, par des comportements aussi juvéniles qu’insensés. Tantôt Papa, tantôt bébé, je cherchais en fait mon équilibre. Dur dans ces conditions, de maîtriser les tourmentes de la vie. Néanmoins, j’accomplissais quotidiennement les tâches inhérentes à mon statut de père célibataire. Pour rien au monde, je n’aurais supporté la moindre critique me concernant. Rien n’est jamais parfait. Je faisais de mon mieux, pour donner une image assez forte de ce qui au fond de mon cœur, était une lacune évidente.

    Je jouais les athlètes, les durs, pour mieux dissimuler mes faiblesses. Ma fille avait besoin d’un Papa fort, solide, intouchable et invulnérable. Pour elle, à travers elle, j’exorcisais mes amertumes. En elle, je puisais les ressources nécessaires à l’accomplissement de ce qui était déjà, un véritable sacerdoce. Plus je me sentais faible, plus je compensais mes lacunes par des actions pour les moins démesurées.

    Fier, je ne voulais pas donner une impression de faiblesse. Je voulais à tout prix qu’elle soit fière de moi. J’oubliais le principal. Ma vie d’homme !  Sans me poser de question, je fonçais tête baissée. Mon unique objectif était d’assumer mon rôle envers ma fille. Ce qui m’interdisait d’accorder trop d’importance aux relations physiques, éphémères par définition. Épisodiquement tout de même, j’assumais ma sexualité. Hélas ! Fort de ma cuisante et récente «Expérience», je prenais peur et je fuyais, sitôt que la relation prenait une tournure affective. Le destin m’avait placé sur une orbite assez spéciale, ça, j’en étais conscient. De là, à en définir l’orientation, il y avait un monde.

    Semaine après semaine, mois après mois, je persistais dans ma façon pour la moins cavalière, d’affronter l’existence. La seule chose qui comptait, c’était le bonheur de ma fille. Belle à croquer, elle était ma fierté. Sans le savoir, Dieu me faisait flirter avec les délices de la dévotion. Que ce soit pour son enfant ou pour une tierce personne, savoir donner son amour et son temps c’est fabuleux.

    À l’époque, loin de donner, je prenais, en bon égoïste. Fier des compliments qui m’étaient adressés, à travers ma fille, je jouissais naïvement des vertus lubriques émanant de cet état informel. Je n’ai jamais su, à cette période, faire la différence entre les congratulations relationnelles, et les louanges profondes.

    Pour moi, toujours enfant, je naviguais aveuglément sur mon océan de quiétude. Tout le monde il était gentil... Les pièges, qui se dressaient devant moi, étaient bien loin d’occuper mes pensées. J’étais tellement imbu de ma personne, étanche aux conseils, que je défiais la planète entière. Tout baignait dans la félicité. Pourtant, il me fallait de temps à autre, revenir aux dures réalités.

    Avec ma profession, j’étais sans cesse soumis aux épreuves les plus invraisemblables. Sapeur-pompier de mon état, je côtoyais chaque jour ou presque, les antipodes de l’humanité. Bons et méchants, riches ou pauvres, beaux ou laids, tout le monde était réduit au même rang, sitôt que le malheur s’abattait sur eux. C’est de là, je pense, que m’est venu ce besoin de comprendre avant d’agir.

    Je le dis maintenant en l’écrivant, avec plus de trente ans d’écart. Quand je vivais tout ça, je ne l’imaginais pas une seconde. En attendant, pour en revenir à mes moutons, je me débattais du mieux que je pouvais. Une chose est certaine, c’est que grâce à mon métier durant cette période, j’ai appris beaucoup.

    La souffrance, la mort, la solitude, l’isolement auront été les compagnons avec lesquels j’ai appris à gérer ma vie. L’écœurement, la révolte, prenaient au fil des jours, racine au fond de mon âme. L’injustice, flagrante et imparable, aggravait un sentiment d’iniquité déjà criant dans mon cœur. Qui pouvait m’entendre ? Moi qui refusais avant tout de communiquer. Je gardais bien trop précieusement au fond de moi les pulsions indignées, pour oser les transmettre à mon entourage. C’était le début de mon sacerdoce.

    Plus je rencontrais la misère, plus je m’insurgeais. Plus je me hérissais contre les dogmes et les idéologies, plus je me réduisais à l’état de contestataire. Donc, plus je me renfermais sur moi-même. L’imbroglio était total. Très vite, j’ai appris à mes dépens qu’il est inutile de se braquer contre les forteresses qui nous entourent. À cette époque, sanguin et bouillonnant, je ne le voyais pas de cet œil. Il me fallait approfondir, tout disséquer, analyser, avant de me déterminer. Le manque d’expérience de la vie se faisait gravement ressentir. Je passais sans transition d’une situation à l’autre, sans me poser la moindre question.

    Euphorique et enthousiaste, je devenais taciturne et vindicatif. Courtois, affable et prévenant, je pouvais tout aussi bien, devenir rustre et odieux. Quelqu’un ne me plaisait pas ? Sans autre, je lui rentrais dedans. Peu à peu, ma carapace s’est épaissie. La frêle cuirasse s’est lentement métamorphosée en robuste et inviolable écaille. Lentement mais sûrement, je me laissais emporter dans le tourbillon de l’incertitude. J’étais très loin de pouvoir entendre le moindre message du Tout-Puissant ! Plus les gens autour de moi cherchaient à me tendre la main, plus je fuyais comme un évadé. La raison, la sagesse, n’étaient que des chimères.

    Je m’enlisais dans les sables mouvants de l’incertitude, sans avoir la force de m’en rendre compte. D’un côté, je tendais la main, de l’autre, je réfutais toute aide. Je pensais avec conviction, être capable de traverser ce désert. De temps à autre, à bout de souffle, j’échouais sur les bancs de sable d’une oasis. Brune ou blonde, célibataire ou mariée, je ne désirais rien d’autre qu’être cajolé. Je me blottissais dans ces bras inconnus, à la recherche de la tendresse. Plus enfant qu’adulte, je me moquais des préjugés et semblais vouloir défier la terre entière.

    Les drames que cela pouvait engendrer ne me venaient même pas à l’esprit. J’étais en paix avec ma conscience, pour moi cela suffisait amplement. D’autant que le plus souvent, avant de m’abandonner aux ivresses des corps, j’éprouvais le besoin de me confier. Parler, pour ne rien dire sans doute, mais avec au fond du cœur, le sentiment d’être écouté. Néanmoins, j’ai toujours été respectueux de mes compagnes. Avant de les inviter à la maison, je mettais les choses au point. Une nuit d’amour ne devait pas aboutir à une pendaison.

    Elles étaient libres d’accepter ou refuser, mais n’avaient pas le droit d’espérer autre chose qu’une aventure. Ma fille, mon métier... Mon métier, ma fille... Rien ni personne n’avait le droit de s’intercaler entre ces deux pôles majeurs. Je pensais avoir mon équilibre. À tort ou à raison, je ne voulais rien d’autre. Un flirt de temps en temps, histoire de conserver une apparence d’homme et rien de plus. À ce petit jeu, on finit par se brûler ; pour un pompier, c’était un comble !

     *   *

    *

     Après quelques années de ce périple acharné, je sombrais dans les arcanes de l’amour. Tout du moins, ce que je considérais comme tel. Jeune et belle, écœurée et révoltée autant que moi, celle qui allait devenir ma seconde femme, allait me faire toucher terre. Désarmé, impuissant, je sombrais peu à peu. Aveuglé par cet avenir prometteur, qui semblait m’ouvrir les portes du bonheur, je capitulais. En quelques jours, elle a eu raison de moi. Ma fille, enjôlée aussi, n’avait de regards que pour elle.

    La ravissante sirène, sortant du fond de l’océan de notre désarroi, est venue par enchantement égayer nos journées. Oubliant mes promesses, m’écartant une fois encore devant ma fille, j’ai cédé à la tentation. Très vite, le flirt est devenu union. N’écoutant que la voix de la raison, éludant les propos peu flatteurs dont elle était gratifiée par son père, je décidais de la prendre pour femme. Pour la seconde fois, devant le maire uniquement, j’épousais la «Maman» adoptive de mon enfant. Plus par charité que par amour c’est vrai.

    J’étais naïf, encore enfant, la famille s’agrandissait. Jeune et belle, ma seconde épouse était sans cesse l’objet des controverses les plus cinglantes. Malgré le peu d’années qui nous séparaient, tout dans son comportement, mettait en exergue une absence évidente de maturité. Elle était charmante, attentionnée et de surcroît, très optimiste. Sa maladresse, son manque d’expérience, étaient largement compensés par son désir de réussir. C’est là que ses Parents l’imaginaient incapable. De mon côté, je me contentais de ce qu’elle m’apportait au quotidien. C’est vrai, elle n’avait rien appris chez elle. C’est tout juste si elle savait faire cuire un œuf sur le plat.

    Au fond, j’avais deux enfants à mes côtés. Fort de mon expérience acquise, auprès de mes Parents, je ne m’affolais pas outre mesure. Avec du temps et de la patience, on arrive à tout, non ? C’était en tout cas, ce qui motivait ma confiance. Réaliste et pragmatique avant tout, je m’efforçais de ne pas la culpabiliser. À dire vrai, que savais-je de plus qu’elle ? Une apparente expérience et rien de plus, qui ne me donnait pas sans doute, le droit de la considérer comme inférieure. J’étais donc fier de la guider, de la conseiller, en toute objectivité, sur les sentiers que je croyais les meilleurs. Je ne faisais rien d’autre que mettre en application, les conseils que ma mère m’avait inculqués. Était-ce opportun ? L’avenir allait nous le dire quelques années plus tard.

    De dérives en malentendus, de quiproquos en peaux de bananes, notre couple était exposé aux pires difficultés. Par Parents interposés, nous ne faisions qu’essuyer les plâtres de ce qui aurait pu, devenir une famille authentique. En quelques années, notre maison s’est agrandie considérablement. Un, deux, puis trois enfants, ma seconde femme était pour la moins féconde. Tant et si bien que je décidais de mettre un terme à cette succession annuelle de descendants, en me faisant opérer d’une vasectomie bilatérale. Hélas, les tensions se transformaient en règlement de compte.

    Les belles-familles étaient, à des kilomètres de distance, l’épicentre de complots en tous genres. Nous, nous étions au milieu. Qui croire en ces cas-là ? Ma femme, mes Parents ou mes beaux-parents ? Les enfants étaient bien trop jeunes pour donner leur avis. Tour à tour boucliers, objets de chantages, ils ont traversé une période assez mouvementée. Pour fuir la mésentente, occultant les tensions, je m’investissais alors dans le sport à outrance : karaté, spéléo, cyclisme, etc. Avec, de surcroît, une intense activité artistique.

    Tous mes jours de repos étaient consacrés en majorité à mon confort personnel. Les excuses ne manquaient pas. Ce qui par contre, me faisait défaut, c’était la capacité de gérer par moi-même, les conflits sporadiques auxquels nous étions confrontés. Entre deux périodes orageuses, je découvrais émerveillé avec un certain plaisir, la volupté des mots et le charme poétique. Fuyant le brouhaha, les querelles et les tensions, je me laissais bercer par les rimes et les vers.

    Ce monde imaginaire et fictif me transportait ponctuellement au firmament de l’oubli. Il me permettait surtout d’occulter la violence et la haine, qui germaient dans mon esprit. Naturellement, mes poèmes n’intéressaient pas plus que ça ma femme ! Ils me permettaient de m’évader, de rêver. Authentiques exutoires, mes textes arboraient malheureusement, l’étendard de la désolation dans laquelle je me trouvais. Je me surprenais même, assez souvent, à frémir de honte en relisant ce que je venais de créer. La vie était-elle à ce point morose ?

    Je ne réalisais pas malheureusement qu’en m’enfermant dans mon univers, je tournais le dos aux réalités. Je démissionnais, capitulais, éludant de mes pensées mes devoirs de mari et de Papa. Après quatre années de mariage seulement, il était déjà question de divorce. Oui, mais voilà, les enfants étaient là, omniprésents. Que faire ? Combien de fois, me suis-je posé la question ? Si nous avions été très loin de tout le monde, je pense que les choses se seraient arrangées. Je sentais bien que ma femme essayait de s’accrocher. Elle était maladroite certes, mais avec du temps, elle aurait sans doute pu devenir une merveilleuse compagne. Mal entourée, manipulée par sa mère, elle ne réalisait même pas qu’elle n’était au fond qu’un pantin, articulé par des mains ignobles. J’essayais de la mettre en garde. Je n’avais pas le droit pour autant, de lui interdire d’aimer ses Parents. Les conflits qu’elle avait rencontrés avec eux s’étaient rapidement estompés. Je me résignais au silence à leur sujet.

    Aveugle, je n’y voyais que du feu. Plus les mois s’écoulaient, plus l’écart se creusait entre nous. Les enfants étaient devenus des otages. Privés de tout, ils grandissaient comme des fleurs sauvages. Au milieu des cris, des empoignades parfois musclées, ils nous imploraient en silence. Attisée par la haine aveugle de nos parents respectifs, la colère émaillait chaque instant de notre vie. Perdu, déchiré, je perdais un à un mes repères. J’avais l’impression très nette de tourner en rond, d’être inutile. Loin de m’accrocher, je fuyais de plus en plus.

    Plus je m’éloignais évidemment, plus ma femme avait la vie belle. L’argent, les amants, tout filait entre ses mains. Était-ce bien de sa faute ? À l’époque, influencé par ma mère il est vrai, je le croyais dur comme fer. Pour tenter de sauver notre couple, préservant avant tout les enfants, je décidais d’ouvrir un petit commerce de photos. Comme j’étais fonctionnaire, je n’avais pas le droit de l’ouvrir à mon nom et bien entendu, il fut créé sous le nom de ma femme. Diable ! Au royaume de la bêtise, j’étais devenu empereur. Il ne manquait que ça, pour achever la destruction de notre foyer.

    Loin de sauver quoi que ce soit, ce fut au contraire la débandade. Solidement entourée de complices, ma femme en profitait pour me plumer jusqu’au dernier centime. Naïf, confiant malgré tout, mais surtout écœuré, je ne réalisais même pas dans quel bourbier j’étais en train de m’enliser. Mon travail à la caserne, mon magasin, je parvenais tout de même à oublier le drame qui se jouait. Abandonnant mes scrupules, je me laissais aller de temps en temps, aux plaisirs charnels. Je ne faisais rien de plus, que rendre la pareille à ma femme. Nous aurions pu vivre ainsi, encore de nombreuses années. C’était sans compter sur l’acharnement de ma belle-mère.

    Je ne sais toujours pas, aujourd’hui encore, pour quelle raison elle s’était jurée de me réduire à néant. Quoi qu’il en soit, elle s’arrangeait pour détourner ma femme de son chemin et lui faire commettre des méfaits ignobles. Combien d’argent a-t-elle détourné ? Dieu seul le sait ! À en juger les menaces d’huissier qui nous parvenaient, je crois que plus de la moitié des revenus quittaient le domicile à mon insu.

    Le mal devenait incurable. La gangrène avait rongé le peu d’espoirs, qui me donnaient la force de lutter. À bout de forces, en dépit de toutes les règles de bienséance, je décidais d’engager le divorce. C’est alors que ma femme a usé de toute sa malice, pour déjouer l’obstacle. Je le sais maintenant, jamais, d’elle-même, elle n’aurait agi de la sorte. Envoûtée par sa mère, elle ne faisait qu’exécuter ses ordres. En attendant, la comédie à laquelle j’ai eu droit était digne des plus grands dramaturges.

    Je voulais qu’elle change ? Elle se métamorphosa ! Devant le juge, le jour de la réconciliation, je compris ce qui venait de se passer. En quelques heures, tout bascula dans le néant le plus complet. Après dix ans ou presque, une nouvelle rupture me propulsait dans les ténèbres de la désolation. Seul avec ma fille aînée, je décidais de relever le défi. Il ne me restait guère de solutions. Quand je mettais enfin mon nez dans les comptes du magasin, je comprenais dans quelle galère je m’étais fourré. Le mal était fait, je n’avais pas d’autre solution que tout mettre en œuvre, pour sauver ce qui pouvait encore l’être.

     *   *

    *

     CHAPITRE DEUXIÈME

     «Bibiche»

    La fin du mois d’octobre 1989 ne s’est pas déroulée de la meilleure façon. Taciturne et aigri, je ne pouvais pas me faire à l’idée que tout était terminé, entre Bibiche et moi. Pourtant, je devais me rendre à l’évidence. Une très longue lettre, écrite avec beaucoup de chagrin, détruisait pendant quelques jours, toute idée de bonheur. Elle m’expliquait honnêtement et avec une tendresse encore plus avouée, quels étaient les paramètres qui motivaient son hésitation.

    Une fois encore, ma violence était à l’origine de cette prise de position à mon égard. Je me mordais les doigts d’avoir été aussi franc. Sans l’ombre d’une tricherie, je lui avais tout dit, concernant ma vie passée. Naturellement, les plaies n’étant pas refermées, j’avais laissé paraître dans mes propos, une agressivité latente.

    À l’instar de ma vie et de ses frasques en tous genres, il y avait de quoi affoler la pauvre Bibiche. Je l’admettais certes, mais je refusais d’adhérer à cette idée, d’abandon de sa part. Je ne pouvais pas l’accabler non plus. Elle, si pure, si fragile, qui avait passé toute sa jeunesse dans un cocon d’amour, ne pouvait pas comprendre autre chose, que ce qu’elle redoutait avec moi. Durant des heures, je lisais et relisais cette missive destructrice. Les yeux brouillés chaque fois, par un épais manteau de larmes. Une fois de plus, j’en voulais au monde entier. Je m’insurgeais, contre Dieu avant tout, ne comprenant pas pourquoi, Il me privait de l’essentiel. N’avais-je donc pas assez souffert, pour mériter enfin le repos ? Même mon ami le peintre refusait de m’offrir son soutien. Je devais comprendre par moi-même.

    Comprendre quoi bon sang ! Le pardon, la tolérance, l’amour pour les autres, tout était devenu naturel pour moi. Que me fallait-il accomplir d’autre ? Je traversais une période assez lugubre. Irrésistiblement, je m’enlisais dans les sables mouvants de la mélancolie. Une chose était claire et évidente cependant. À aucun moment, je n’ai éprouvé la moindre haine à l’égard de Bibiche. Je souffrais, mais je la comprenais. Je n’avais pas le droit d’augmenter son propre chagrin.

    Je le sentais à travers ses lignes, ce n’était pas de gaieté de cœur qu’elle avait pris cette décision. C’était sans doute à ce niveau que je devais prendre conscience de l’amélioration indispensable de mon caractère. Je prenais conscience avec force, de ce besoin urgent d’épuration mentale, à laquelle je devais me livrer. Avant cette épreuve, tout m’était dû ou presque. Je n’admettais pas l’échec et encore moins, sentir quelqu’un me laisser pour compte. Grâce à Bibiche et à sa fermeté, j’analysais cette métamorphose avec beaucoup de plaisir.

    Au fond, je prenais conscience que mon chemin de vie allait être parsemé d’embûches. Il fallait que je reprenne le dessus coûte que coûte. Oui, mais voilà, après une semaine de régime amaigrissant, j’étais devenu une vraie loque. Affaibli, triste, je ne mangeais presque plus. Je buvais comme un trou, et fumais comme une cheminée ! Bien fort, aurait été celui ou celle, capable de me sortir du ghetto dans lequel je m’enfermais progressivement. Néanmoins, et ce constat a été salutaire, même au plus fort de ma tempête, je n’ai pas cherché à employer la violence, envers qui que ce soit. Mes bonnes intentions se limitaient à prendre conscience de certaines directives, sans pour autant être suivies de fait. Résigné, je suivais le courant de la vie, rien de plus. En même temps que le vide se faisait dans mon corps et mon esprit, il se faisait autour de moi.

    Las d’entendre les mêmes rengaines à propos de Bibiche, j’évinçais sans regret de ma vie, tous celles et ceux que je jugeais hypocrites. Autrement dit, en quelques jours à peine, je fermais ma porte à tous les faux amis et autres profiteurs. Seuls, mes vrais amis venaient me voir tous les jours. Mon état de santé était critique. Je ne réalisais pas, la gravité des faiblesses dans mon organisme. Sonné, je n’avais même plus la force de conduire.

    Fier et orgueilleux, je refusais avec force toute aide extérieure. Je devais résoudre mon problème seul. Ce n’était pas la première fois que je sombrais au fond d’un abîme. N’était-ce pas pour moi, le moment opportun pour réagir, d’une manière plus adéquate et objective ? Sans pouvoir identifier telle ou telle force en présence, je sentais bien qu’une voix me guidait vers la sagesse.

    Loin de revendiquer la moindre «Réparation» pour cet honneur bafoué, je prenais sur moi, d’analyser la situation et en tirer les conclusions qui s’imposaient. En filigrane, le visage de Bibiche rayonnait au fond de mon cœur. Et si cette épreuve était dictée pour me permettre de la reconquérir ?

    Même si je l’avais voulu, jamais durant ce passage à vide, je n’aurais pu apporter le moindre soutien à qui que ce soit avec le magnétisme. Loin de m’insurger, j’acceptais de payer le prix fort. À mon insu, l’amie qui m’avait fait connaître Bibiche décidait de l’alerter. Je ne le désirais pas, car il n’était pas question de lui imposer ce fardeau. L’amitié avait des règles bien précises.

    L’avant-dernier vicaine d’octobre, a été à lui seul le plus beau rayon de soleil, qui n’avait jamais éclairé les ténèbres de mon néant. L’effet de surprise tout d’abord. Je sentais bien qu’il se tramait quelque chose dans mon dos, mais quoi ? Pourquoi mes amis tenaient-ils tant à être présents ce samedi ? Quel était l’événement, qui justifiait le champagne et les petits gâteaux qu’ils avaient apportés ? Je me bornais à imaginer naïvement que c’était uniquement pour me remonter le moral. En guise de cadeau, j’ai été comblé !

    Il était un peu moins de onze heures. Mon amie ne tenait plus en place. Allant de la cuisine à la salle à manger, elle restait de longues minutes rivée aux carreaux des fenêtres. Pourquoi autant de mystères ? Je ne tardais pas à le découvrir. Plus belle et séduisante que jamais, ma petite Bibiche entrait soudain, dans la tanière du célibataire endurci. Ne s’occupant de rien d’autre, que laisser parler son cœur, elle est restée un instant immobile devant moi. Pétrifiée, horrifiée, elle ne pouvait plus contenir ses larmes.

    Ce bref instant de bouleversante émotion passé, elle s’est précipitée vers moi. Collés l’un à l’autre, l’étreinte qui nous unissait était à l’image de l’amour, dont nous refusions de parler. Elle me serrait si fort, que je manquais d’air. Mêlant nos larmes à nos battements de cœur, nous sommes restés enlacés de très longues minutes. Nous étions tellement envoûtés, par ces instants sublimes, que nous ne prenions pas garde à nos amis.

    Jugeant leur présence inutile, ils s’étaient éclipsés sur la pointe des pieds, pour mieux nous permettre de nous ébattre en toute intimité. Les mots étaient superflus. Nous étions si proches et pourtant si lointains. Le regard de mon petit Ange aux yeux verts était suffisamment explicite. Elle ne se pardonnait pas de m’avoir mis dans un tel état. Où était passé le monstre qu’elle redoutait tant ? Amaigri, pas rasé depuis huit jours, je ressemblais presque à l’homme de Cro-Magnon. Je n’étais que le spectre de moi-même. Comment ne pas traumatiser un cœur aussi pur, que celui de ma ravissante compagne ?

    Choqués, nous l’étions autant l’un que l’autre. Elle s’en voulait et moi, je me culpabilisais de la sentir aussi malheureuse. Un seul point comptait : le bien-être, dans lequel nous commencions à nous enfermer. Sur notre nuage, nous éludions de nos pensées, les atrocités qui nous avaient fait souffrir. Lentement mais sûrement, le calme revenait après le déluge de larmes. Redonnant à nos visages un aspect moins repoussant, et à nos corps un allant plus prometteur, nous nous accordions un premier et langoureux baiser. Dieu que le fruit de cette bouche était suave et délicieux !

    Nos amis avaient tout prévu. Pas question de déjeuner à la maison. Ils nous ont invités dans un très bon restaurant. L’atmosphère était idyllique. Pour Bibiche et moi, elle le devenait doublement. Après l’orage et l’incertitude, le ciel bleu d’une relation vraiment sincère était en train de nous envelopper dans ses senteurs enivrantes.

    Calmement, avec pondération, l’avenir esquissait son profil dans nos cœurs. Un point nous paraissait très important. Après une première rencontre, plus ou moins improvisée et ce vicaine assez troublant, il nous fallait quelque chose de vraiment à nous. Un séjour pour Bibiche, dans mon petit nid, s’imposait spontanément.

    La date du 4 novembre était acquise. Nous en avions déjà parlé quelque temps auparavant, de cette date mémorable. Après cette période d’écartement, le statu quo l’avait occultée de nos entretiens. Ce fut avec un enchantement non dissimulé, que nous la remettions en vigueur. Cette journée du samedi nous apportait tout un contingent de bonheur.

    Le récital de poésie, les vacances aux Canaries pour Bibiche, son retour, tout était minutieusement décortiqué. Jusque-là, promis juré, pas question d’envisager quoi que ce soit d’autre, que les premiers baisers, ponctuant nos balades main dans la main. Nous avons profité au maximum de ce jour fabuleux. En compagnie de nos amis, témoins de notre amour naissant, tout devenait limpide.

    Certes, la patience était de mise. Ce qui n’était pas vraiment fait, pour me combler d’aise. Je devais absolument, au risque de tout perdre, accepter de contenir ma fougue et mon excès d’enthousiasme. Étaient-ce les messages que je devais décoder ? Sans doute. Car pas une seule fois, au cours de cette journée, je n’ai manifesté une quelconque désapprobation envers Bibiche. Encore moins, la plus petite allusion à ce qui venait de se passer. J’en étais fol amoureux, mais je ne devais pas le laisser paraître. Ni elle ni nos amis n’étaient dupes ! Nébuleux, hypnotisé par son regard et sa douceur, je n’avais de regards que pour ma divine amie. Je me montrais tellement délicat et prévenant, que j’en devenais presque maladroit.

    Chaque mot qu’elle prononçait était un murmure langoureux. Tantôt serrée contre moi, ou sa main blottie dans la mienne, elle m’éblouissait de ses éclats étincelants. Je prenais conscience de la volupté de ces instants sublimes. Cependant, pour ne pas compromettre un équilibre assez précaire et fragile, la logique nous contraignait à un pragmatisme exacerbé. Les débordements intempestifs, dont j’étais très friand à cette époque, devaient eux aussi être mis en veilleuse. À l’issue du déjeuner, copieux et enthousiasmant au possible, et après une belle promenade, nous nous retrouvions dans le petit nid pour sabler le champagne. De promesses pleines d’émotions, en aveux dissimulés, notre couple était en train de naître officiellement.

    J’avais fait les efforts nécessaires, pour prouver à Bibiche que je voulais avant tout, fuir cette image de violent qui me collait à la peau. De son côté, elle me jurait de réviser ses jugements sur les valeurs. Un pas l’un vers l’autre, un peu d’eau dans notre vin, tout devenait plus réaliste et prometteur. Nos amis étaient les témoins privilégiés de cet amour naissant.

    La pondération avec laquelle j’exposais mes projets sécurisait pleinement Bibiche. Loin de tenir des propos nébuleux, je regardais la vitrine de notre futur, avec sagesse et lucidité. Fini les gadgets, inepties et autres bévues, dont je m’entourais avec tellement de réussite avant ce jour béni. Je voulais devenir différent. Je sentais qu’avec Bibiche, je pourrais faire des projets vraiment exceptionnels. Le magnétisme, la poésie, elle me confirmait son engouement à leur endroit. Hélas, je doutais de moi. Sur ce point précis, je sentais avec quelle détermination, elle s’engageait à me redonner la confiance que j’avais perdue. La partie s’annonçait épineuse. Impossible, était un mot dont elle détestait l’existence.

    Avec de l’amour, beaucoup de patience et de courage, tout était envisageable. Côté intimité et vie privée, nous nous accordions une liberté totale. Tant que notre amour ne serait pas officiellement engagé, nous pouvions disposer de notre indépendance à tous niveaux. Elle avait ses amis, j’avais les miennes. Jusqu’au jour de notre grande soirée chez elle, nous acceptions tacitement de maintenir nos relations avec eux. Ce n’étaient que des mots bien entendu. Car de mon côté, j’avais fait beaucoup de ménage auprès de mes compagnes d’un soir. Par respect vis-à-vis de ma douce Bibiche, je ne commettais pas l’outrecuidance, de lui poser la question à ce sujet. Je me doutais bien qu’elle aussi avait tiré un trait sur bon nombre de prétendants.

    Adorable à croquer, attirante et enveloppée d’un charisme extraordinaire, elle avait dû en faire chavirer plus d’un. Plus je la regardais, buvant ses paroles, plus je me disais qu’elle était presque trop belle pour moi. C’était pour cette raison, essentiellement, que je maintenais ma fougue. Bercé par les tendres mélodies qu’elle me susurrait, avec tant de volupté, à plusieurs reprises au cours de cette fin de journée, je quittais en rêve mon petit nid.

    Je la prenais alors très fort contre moi, je la couvrais de mille baisers et lui caressais le visage, avant de me hasarder sur le galbe de son corps tout aussi appétissant. Mes yeux devaient me trahir, à chacune de mes escapades. Le trouble qu’elles généraient la flattait et la séduisait. Pourtant, il fallait à tout prix que nous restions maîtres de nos pulsions, coûte que coûte. En fin d’après-midi, nos amis prenaient congé. Pour la seconde fois, Bibiche allait coucher dans mon petit nid. Elle n’était pas très en forme.

    L’émotion, les projets, la poussaient à accepter mon offre de rester à la maison. Nous avions presque trop mangé à midi, plus les gâteaux et le champagne, pour convenir qu’un repas léger serait suffisant. Ce qui nous laissait par-dessus tout, la possibilité de clarifier au mieux, ce que nous considérions comme l’embryon de notre vie future.

    Notre grand rendez-vous tout d’abord, confirmé pour le 4 novembre. Le récital de poésie ensuite, programmé pour le 8 décembre. La cruelle séparation hélas, et enfin, sublime destinée, à condition que nos projets tiennent toujours, notre première grande nuit d’amour chez elle. En comptant vite et mal, cela faisait presque deux mois à attendre cette nuit divine et sensuelle ! C’était le prix à payer, pour être certains de ne pas nous tromper. En nous donnant l’un à l’autre trop rapidement, nous aurions sans aucun doute, ébréché l’aura qui nous unissait. C’était pour cette raison, qu’elle acceptait de coucher dans mon lit, tandis que je dormirais sur le canapé ; non, ce soir-là, je n’ai pas eu besoin de faire pipi ! Cela ne nous enchantait ni l’un ni l’autre, mais c’était mieux ainsi.

    Durant de longues heures, point par point, les mystères entourant nos deux personnes ont été élucidés. Partiellement en ce qui la concernait, car, plus énigmatique que jamais, elle ne m’apportait aucune information sur son activité professionnelle. Par peur de la mettre mal à l’aise, je ne lui posais aucune question à ce sujet. Après tout, ma position de chômeur n’était pas tellement honorable et pour rien au monde, je n’aurais pris le risque de me montrer indiscret.

    Elle me laissait la quasi-totalité de notre entretien, pour conforter mes bonnes dispositions. Détail après détail, je lui expliquais le pourquoi de mon état d’esprit tourmenté. Accrochant ma fierté et mon orgueil au mur de mon égoïsme, je faisais la grande lessive affective. Elle a été très touchée de constater à quel point, en quelques semaines, j’avais changé dans ma manière d’être. L’apparence, le poivre aux yeux, étaient des subterfuges inutiles et dangereux, avec une femme comme elle. Psychologue et intuitive, elle aurait eu la partie facile en démontant sans peine, les châteaux de cartes que j’aurais pu construire pour l’épater. Le naturel s’imposait, la franchise aussi. Je revivais les temps forts de mon existence.

    Grâce à Dieu, les différentes prises de conscience auxquelles je m’étais livré, depuis ma rencontre avec Lui, me permettaient d’afficher un meilleur moral. Moins agressif dans mon langage et surtout, moins caustique à l’égard de celles et ceux qui m’avaient offert la possibilité d’arriver jusqu’à elle. Je les remerciais au contraire, de m’avoir permis d’envisager autre chose, qu’une vie de pantin.

    Chaque fois que je laissais apparaître un doute au sujet de mes capacités, Bibiche se montrait ferme. Elle n’acceptait pas que je me diminue en aucune façon. Mes efforts étaient louables, mais ils ne devaient pas engendrer cette dévalorisation systématique, à laquelle je me livrais contre moi.

    Elle n’avait qu’une envie, faire de moi un autre homme. Jamais, jusqu’à ces instants magiques, personne ne m’avait témoigné un tel intérêt. Chaque phrase de ma belle compagne était là pour effacer mes tourments. Avec une tendresse infinie, qui n’a pas varié d’un iota depuis, elle me couvrait des valeurs auxquelles je n’aspirais plus.

    Le clochard que je croyais être était en vérité le compagnon qu’elle rêvait de rencontrer, depuis toujours. Capable du pire, j’étais en mesure de la combler du meilleur. Elle insistait longuement sur cet aspect, que je méconnaissais. Ce qui lui permettait d’affirmer cela, c’était mon envie de faire plaisir aux autres, avant de penser à moi. N’était-elle pas elle-même généreuse et altruiste ? Je n’étais pas convaincu des propos gratifiants dont elle me comblait. D’accord, j’étais dévoué et désintéressé.

    Était-ce suffisant, pour lui permettre de me couvrir de tant de qualificatifs valorisants ? Au fond, je jouais les offusqués, mais j’en étais très fier. D’autant que les mots doux et les compliments étaient susurrés avec une sincérité et une douceur extraordinaires. Grisés par ce parfum d’amour, qui nous enveloppait dans son irradiation délicate, nous nous laissions bercer par les rêves, émanant de nos propos. Ce vicaine s’est terminé de la meilleure façon possible. Les choses avaient le mérite d’être claires.

    *   *

    *

    Quelques jours plus tard, euphorique et maladroit, je m’apprêtais à quitter mon petit nid pour aller rejoindre ma dulcinée. Le 4 novembre était là ! Très attaché aux symboles, surtout affectifs, je choisissais le train, pour me rendre à notre rendez-vous. Jamais, je ne pourrais oublier l’anecdote au guichet de la gare. Même les plus grands humoristes n’auraient pas pu trouver mieux, pour écrire un sketch. La ravissante caissière ne comprenait pas pourquoi, je désirais tant voyager en train. Alors qu’un service de cars assurait les mêmes liaisons.

    Dans mon esprit autant que mon cœur, l’image était pourtant très nette. La sortie du tunnel ! Je quittais ma grisaille, pour trouver le soleil à l’autre bout de ce souterrain, dans lequel je grelottais depuis toujours. Allez expliquer cela à une employée bornée ! Encore un peu, je loupais mon train. Elle n’avait pas tort au demeurant, quant au côté rationnel de sa proposition. Le bus me permettait de gagner près d’une heure de trajet. Heureusement pour elle, déjà amoureux fou, je n’avais aucune envie d’entrer en conflit. Je prenais donc à la plaisanterie cet entretien épique, et me contentais d’en sourire tout au long du parcours.

    Jamais de ma vie, je n’avais trouvé le temps aussi long. J’aimais le train et sa nostalgie. Là, je commençais à le détester. Cahoté au gré des secousses, je me laissais bercer par les rêveries qui me transportaient sur mon nuage. Je ne prêtais aucune attention aux regards plus ou moins accusateurs, qui me dévisageaient des pieds à la tête. Enveloppé du manteau nébuleux de l’amour naissant, je fermais les yeux et me laissais caresser par les murmures enjôleurs de Bibiche. Elle était encore loin de moi, mais jamais, durant ces instants, elle n’avait été aussi présente à mes côtés. Épisodiquement, revenant sur le plancher des vaches, je reprenais une attitude moins équivoque.

    En fixant les autres voyageurs, je sentais peser sur moi le poids de la folie. Ce qui ne pouvait qu’attiser mon envie, de laisser éclater mon bonheur. En voyant leurs visages déconfits, lugubres et sans la moindre trace de gaieté, je les plaignais sincèrement. Le plus dramatique, était de me sentir presque coupable, d’afficher un tel rayonnement. S’ils avaient été des jurés et moi l’accusé, j’aurais été condamné à mort sur le champ. Je notais tout de même avec effroi, l’étendue de la désolation morale qui emprisonnait la plupart des gens.

    C’était une prise de conscience indispensable, que Dieu était en train de m’imposer. Je devais absolument percevoir et comprendre cette détresse affligeante, dans laquelle la plupart des individus étaient plongés. Bien loin de m’insurger, face à ces regards inquisiteurs, je frissonnais à l’idée de les sentir aussi démunis et incapables, d’abandonner leurs carapaces. Raison de plus, pour m’évader au plus lointain de mon rêve.

    La fin du voyage était imminente. Je sentais mon cœur battre la chamade, au fur et à mesure que le train s’immobilisait en gare. Soudain, j’ai été comme transpercé d’une décharge électrique. Tétanisé, incapable de bouger ni même de respirer, j’apercevais ma douce et belle amie. Les autres passagers, pressés de quitter le wagon, me jetaient un ultime regard plein de mépris. Seule, une brave petite mamie, apercevant elle aussi Bibiche sur le quai, se ravisait à mon égard. Tour à tour, elle regardait ma dulcinée, puis moi. En voyant mes yeux s’illuminer comme des phares, elle ne pouvait contenir son émoi. Son tendre sourire, son regard compatissant, m’ont apporté en ces instants toute la chaleur dont j’avais besoin.

    Notre comportement devait sans doute lui rappeler de bons souvenirs ? Toujours est-il que son regard et son sourire à notre endroit étaient pleins de tendres aveux. Fendant la foule des voyageurs sur le quai, Bibiche s’approchait un peu plus. Cette fois, la brave mamie était subjuguée. Elle comprenait le pourquoi de mon état second précédent et en me prenant la main, me souhaitait tout le bonheur possible. Ce signe était de bon augure.

    En dégustant notre café, nous étions pris l’un et l’autre, d’un fou rire assez révélateur. Tout était prétexte à extérioriser les tensions nerveuses, qui nous avaient oppressés en attendant ce jour merveilleux. À l’instar de la Maman qui vient d’accoucher, nous en étions à la phase de délivrance. Bibiche me taquinait, en essayant d’imiter mes rêveries dans le train. Elle jouait la forte, pour mieux dissimuler son émoi.

    Quelques instants plus tard, l’occasion m’était offerte de mesurer avec exactitude, l’étendue de son trouble. Elle avait garé sa voiture dans le parc souterrain de la gare d’Annecy. La pauvre était totalement dans les nuages. Pour preuve, elle ne retrouvait pas sa voiture ! Après de longues minutes de recherches, nous pouvions enfin récupérer le cabriolet. Sur le plan de la nébulosité dans les esprits, nous étions à égalité !

    D’anecdote en anecdote, nous construisions notre futur bonheur. Fier et comblé, conduisant celle qui désormais donnait un sens à ma vie, je pilotais ma compagne vers notre petit nid. Autant le trajet en train avait paru long, autant le retour au volant de la Golf semblait déjà trop réduit. Ce n’était pas ce jour-là que j’aurais risqué une amende pour excès de vitesse ! Caressés par le soleil, malgré la froidure environnante, les perspectives de ce premier séjour vraiment à nous, nous offraient une multitude de facettes. D’accord, nous sommes restés entièrement fidèles à nos vœux initiaux et malgré l’euphorie ambiante, nous ne perdions pas de vue nos engagements. Plus nous nous approchions de mon appartement, plus nos cœurs battaient à l’unisson. L’harmonie était omniprésente.

    De détours en contours, je faisais profiter Bibiche au maximum, de la beauté du paysage environnant. N’importe quelle région, dans de telles conditions, aurait été la plus belle. Je crois que même en plein désert, nous aurions l’un et l’autre, découvert des richesses insoupçonnées et des trésors de beauté. Je tenais surtout, c’était compréhensible, à prolonger à satiété ces moments idylliques. Tous ces chemins, que j’avais jadis parcourus seul, triste et désemparé, m’offraient soudainement un éclat inhabituel.

    La transition entre la mélancolie et la joie de vivre était certes brutale, mais salvatrice. J’étais conscient qu’une page était en train de se tourner. Néanmoins, je restais lucide et maître de mes pulsions. Ce qui en soi, était en exploit authentique. Il n’était pas si loin en effet, le temps où, emporté par les brises du romantisme, je me serais laissé bercer par le doux chant des sirènes. Lequel de nous deux, en ces instants sublimes, avait le plus envie de se laisser séduire ?

    Délaissant les chimériques pensées, au profit de résolutions formelles, nous avons abordé tous les aspects de notre future relation. Vie commune, mariage, rien n’était esquissé ou galvaudé. Par contre, les enfants occupaient le plus clair de notre conversation. Ne pouvant plus enfanter, après une hystérectomie totale, Bibiche pour combler cette apparente lacune, envisageait avec émotion l’éventualité d’une adoption. Mon enthousiasme à ce propos la comblait d’aise. Certes, j’avais mes enfants, quelque part en France. Jamais, ils ne pourraient venir vivre avec moi. Donc, pour combler ma petite princesse, j’étais prêt à accéder à son désir.

    Après ce vicaine absolument féerique, notre relation prenait un tournant décisif. Nous savions l’un et l’autre, ce que nous désirions. Les nuages, qui avaient obscurci le ciel de notre idylle, avant notre grande rencontre, étaient balayés de nos esprits. Nous avons pris le temps de relire la lettre, qui était à l’origine de mon affolement. En même temps, qu’elle aura été le catalyseur de l’amour, qui était en train de naître ! J’avais effectué un sérieux coup de balai devant ma porte. Bibiche de son côté, avait révisé ses théories sur la valeur des gens qui l’entouraient. Je prenais acte de cet aspect fondamental de la prise de conscience.

    Modifier une trajectoire, appliquer d’autres méthodes, je savais faire ; tout du moins en étais-je convaincu. Par contre, analyser le comportement, aller au fond des choses et éclaircir les mystères, pour mieux profiler une attitude, là, je patinais dans la semoule. Grâce à Bibiche, cela était désormais possible. Nous pouvions en toute sérénité, envisager notre vie affective. Prudence, sagesse, lucidité côtoyaient la passion, le désir et la volupté, à chacun de nos échanges verbaux.

    Durant de longues heures tous les soirs, nous nous retrouvions au téléphone avec un engouement de plus en plus marqué. Il ne restait plus que deux vicaines avant le récital. Sans avoir à forcer quoi que ce soit, il devenait impensable de les passer loin l’un de l’autre. Car, sans avoir à le souligner, Bibiche sentait à quel point son départ pour les Canaries allait être douloureux.

    Elle a fait preuve d’un altruisme et d’une dévotion sans limites à mon égard. Les petits cadeaux par-ci, les coups de téléphone par-là, les congés de fin de semaine, tout était fait pour me gâter. Elle m’offrait, durant ces deux dernières semaines de novembre, l’étendue de tout ce qu’elle était en mesure de m’apporter. Ce qui bien entendu, me comblait à tous niveaux, tout en m’affolant un peu tout de même. Jamais de ma vie, je n’avais profité de personne, encore moins d’une femme.

    Je me gardais bien de lui faire part de mes inquiétudes, inhérentes à pareille générosité, mais je me sentais au fil des jours un tantinet redevable. Au chômage, je n’avais guère de possibilités financières, pour lui témoigner comme je l’aurais aimé, mon envie de la couronner de présents. Heureusement, avec le magnétisme, je pouvais lui envoyer à distance tout ce que mon cœur avait envie de lui crier en secret. Sur ce plan-là, elle n’avait pas ménagé sa peine. En quelques jours, équipé de fond en comble, je possédais toute la panoplie du parfait magnétiseur.

    Encens, bougies, cassettes de relaxation, rien ne manquait à mes séances. Ce qui me valorisait bien davantage, c’était la volonté farouche avec laquelle, elle luttait de toutes ses forces, pour me redonner confiance en moi. Très pieuse et croyante, elle m’apportait à chaque instant l’énergie qui me faisait défaut. Je découvrais ébahi, au fil du temps, la force qu’elle incarnait à mes yeux.

    Il me suffisait de penser à elle, pour éluder de mes pensées tous les aspects négatifs qui s’y bousculaient. Avant chaque séance, je venais vers elle, dans mon subconscient naturellement, pour y puiser les ressources régénératrices nécessaires, à l’accomplissement de ma mission. Elle devenait à son insu, ma muse, ma guide, mon ange protecteur.

    Dans mon nouvel Éden, paradis de douceur et de quiétude, je venais cueillir les roses de l’amour que je lui offrais, à travers mes phrases écrites ou parlées. Motivé, amoureux, j’occultais de mon cœur et de mon esprit, les problèmes qui me hantaient. Tout devenait limpide et pur. Ce qui donnait à mes séances, une puissance et une authenticité absolues.

    À quelques jours de notre ultime rendez-vous, avant la cruelle séparation, j’avais l’impression de vivre sur une autre galaxie. Le compte à rebours était commencé depuis sa dernière visite. À moins de trois jours du récital, je n’étais plus du tout le même homme. Transcendé, métamorphosé, j’appréhendais les journées avec une égale émotion. Loin de m’en tenir aux promesses complices, que nous échangions quotidiennement, à propos de nos soi-disant «Libertés réciproques», je m’enfermais ponctuellement dans ma tour d’ivoire.

    Depuis notre grande rencontre, plus aucune femme n’était venue coucher à la maison. Je savais bien que de son côté, les hommes qu’elle fréquentait avaient subi le même sort. Bien que frissonnants de désir, nous n’avions pas encore échangé la moindre intimité physique. Était-elle inscrite au programme de notre ultime vicaine, avant son départ pour les Canaries ?

    Ni pour Bibiche ni pour moi, cette éventualité ne nous a effleuré l’esprit. Une seule chose comptait, que nous passions ces deux journées avec une intensité affective absolue. Tant que nos sentiments ne seraient pas officiellement déclarés, nous avions convenu de cette privation au niveau du plaisir.

    La solitude, imposée par les vacances de Bibiche, devait nous donner ou non le feu vert, pour envisager l’avenir en commun. Au fur et à mesure de nos rencontres, nous avions fait le tour de tout, analysé tous les paramètres. Au terme de son séjour, elle ouvrirait son cœur définitivement ou au contraire, mettrait un terme à notre aventure. Au cours de mes nuits de solitude, je tremblais à l’idée que pareille issue puisse être possible. Plus que jamais, je m’en remettais à Dieu, l’implorant de ne pas m’exposer à une nouvelle déception. Tout n’était pas parfait loin de là, mais le travail que j’avais effectué sur moi était suffisamment porteur d’espoir pour ne pas redouter un énième échec.

    Entre l’angoisse et l’enthousiasme, je passais le plus clair de mon temps à rêvasser. Jamais, je n’avais préparé un récital avec une telle émotion. Du matin au soir et du soir au matin, je répétais inlassablement mes poèmes. Je voulais que cette soirée poétique soit la plus belle de toute mon existence de saltimbanque. Je n’avais plus rien à prouver à Bibiche, mais je tenais à lui offrir tout ce que mon cœur n’osait pas lui avouer.

    Grâce à la complicité du maire de Thénésol, et l’implication de l’ensemble des familles, nous avions concocté une ravissante soirée. La première partie étant réservée à la chorale du village, avant que les enfants ne prennent la scène pour clamer avec leur innocente ferveur, les premiers vers de quelques-uns de mes textes.

    De répétition en arrangement, nous avons passé de très longues heures, pour que le spectacle soit aussi parfait que possible. Heureusement pour moi, le temps passait assez vite. Je redoutais de voir tourner les aiguilles, égrenant presque narquoises, mon anxiété au fil des heures. Rien de tout cela en vérité.

    À bien des égards, je me surprenais moi-même. Habituellement superficiel, je me réjouissais de constater à quel point, j’adulais la minutie. L’amour était en train de neutraliser mes mauvaises habitudes. Le relatif s’estompait, au profit du concret. Je découvrais médusé, les bienfaits de la chronologie du déroulement des événements. Chaque chose en son temps et surtout, l’une après l’autre. Avant de rencontrer Bibiche, je faisais feu de tout bois, commençant tout et ne terminant rien. Là, émerveillé, je savourais ce nouveau plaisir d’aller au fond de ce que j’entreprenais, avant de m’aventurer ailleurs. En l’occurrence, je plaçais toute mon énergie dans les préparatifs du récital et de ce fait, j’avais annulé mes rendez-vous en magnétisme durant ces trois derniers jours.

    En prenant le temps de faire une chose après l’autre, je découvrais surtout, les valeurs du Présent. Quand je courais dans tous les sens, j’occultais le meilleur de chaque moment ; au profit de l’inquiétude, pour ce que je n’avais pas terminé et de l’angoisse pour ce qui restait à faire. Ce qui signifiait que jamais, je ne jouissais au présent des instants de bonheur, tel que je les savourais depuis que l’amour avait frappé à ma porte.

    Le grand jour arrivait enfin. Le 8 décembre 1989 restera à jamais gravé dans mon cœur. Après une très longue conversation téléphonique la veille avec Bibiche, je m’étais couché en sachant que jamais, je ne parviendrais à dormir. J’avais refusé cependant de prendre un somnifère. La nuit promettait d’être longue. J’avais tellement de moments forts à revivre, que je ne m’étais pas inquiété le moins du monde. Entre deux instants de rêve, je venais boire un verre d’eau et fumer une cigarette à la cuisine ou à la salle à manger. L’insomnie ne me harcelait pas, bien au contraire.

    Ce fut l’occasion de passer en revue toutes les périodes de mon existence. Point par point, je revivais cette première partie de ma vie. Tout ce qui était obscur jusque-là s’éclaircissait en quelques heures. J’en arrivais à la conclusion que les situations s’étaient enchaînées les unes aux autres, suivant une chorégraphie prédéterminée. Le hasard n’avait sa place nulle part. Tout devenait limpide. De mon premier mariage à Bibiche, que de chemin parcouru ! Selon toute vraisemblance, Dieu avait une idée bien précise dans la tête. J’apprenais cette nuit-là, à juguler le flot nerveux de mes envies, de tout découvrir en même temps. Calmement, j’acceptais de ne plus anticiper et de me laisser guider vers mon destin. Si ma synthèse était cohérente, Bibiche serait bien la femme de ma vie. C’est ainsi que de pensées nébuleuses en vision du récital, je terminais ma courte nuit. Bien avant le premier chant du coq, j’étais sur le pied de guerre.

    Le matériel, la sono, tout était fin prêt depuis deux jours. Je tenais à ce que tout soit parfait et en attendant de prendre mon petit déjeuner, je contrôlais tout une fois encore. En dépit d’une nuit blanche, je me sentais dans une forme éblouissante. Pas la plus petite trace de fatigue. Pour calmer mon envie d’installer mon matériel dans la voiture, je prenais le temps de m’accorder une longue pause afin de me rassasier correctement.

    La journée s’annonçait comme la plus longue de ma vie sans doute. Il était à peine six heures du matin et dans le pire des cas, je prévoyais de ne revenir avec ma dulcinée, que le lendemain vers deux ou trois heures. Je savais aussi, pour l’avoir vécu à maintes reprises, que je ne mangerais rien avant le retour au bercail. D’où l’importance de manger copieusement avant de partir. Je n’étais pas coutumier du fait, mais naturellement, la faim me poussait à me mettre à table. L’appétit venant en mangeant, je dévorais comme un ogre. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pris un tel plaisir à me sustenter.

     *   *

    *

    Quinze jours plus tard, après un feu d’artifice artistique émouvant, au cours du récital poétique, nous étions Bibiche et moi, installés sur notre nuage amoureux. Elle était très loin de mon cœur, je lui manquais cruellement, cela se sentait à chacun de ses appels. Comme promis, elle m’a envoyé une carte postale des Canaries, chaque jour. Au gré de ses mots doux, je percevais son amour brûlant. Le «Bonjour Richard », se transformait en «Tendre Minou» très rapidement. De mon côté, le soir en l’écoutant susurrer ses mots doux, je lui donnais le sobriquet de «Bibiche». Il nous a fallu attendre le 22 décembre, pour voir éclore l’amour revêtu d’or.

    Les événements cruels en Roumanie, malgré eux, ont été le déclic à des aveux aussi sincères qu’imprévus. Répondant aux appels du Ministère de l’Intérieur, je m’étais porté volontaire pour aller renforcer les bénévoles, dans ce pays à feu et à sang. Mon expérience en qualité de sapeur-pompier, devait me permettre de rejoindre les équipes de secouristes. Je venais juste de terminer le poème que je dédiais à tous ces martyres. Il s’intitulait tout simplement «Roumanie en guerre» ! En clamant les vers au téléphone, après l’aveu de mon désir de partir pour la Roumanie, Bibiche éclatait telle une bombe. JE T’AIME !

    Mon Dieu comme ces deux mots prenaient une ampleur quasi démesurée dans mon esprit ! D’apparence banale, ils emplissaient mon cœur et mon corps de mille frissons. La crainte de me voir disparaître, au cœur de la bataille, la poussait à m’avouer enfin ses sentiments, qui depuis bien longtemps, étaient confirmés à mes yeux. À cet instant précis, je prenais conscience du danger réel. Mais mon cœur avait manifesté spontanément sa solidarité, vis-à-vis de ce peuple déchiré.

    Je n’avais pas le droit de faire marche arrière. Tiraillé entre mon envie d’aider mon prochain et mon amour pour Bibiche, je restais de longues heures à méditer, après avoir raccroché le combiné. Le sens du devoir, opposé à l’égoïsme de l’amour, le dilemme était total. Allais-je appeler le ministère, pour lui demander d’annuler ma candidature ? Je ne m’en sentais pas le courage.

    Ma tendre Bibiche, une fois de plus, me sortait de ce bourbier moral. Très tard dans la nuit, il devait être à peu près deux heures du matin, elle n’hésitait pas à me rappeler. Confuse de me réveiller sans doute, elle se rétractait dans ses pulsions premières. Le plaidoyer auquel elle se livrait, en faveur du peuple Roumain, était si beau et émouvant, qu’elle me faisait pleurer.

    Elle venait de se comporter en petite fille égoïste disait-elle, et s’en voulait, d’avoir fait prévaloir son bien-être personnel avant celui des pauvres victimes, écartelées par ce tyran de Ceausescu. Elle rendait un solennel hommage à mon geste, qu’elle ne cessait de glorifier tout au long de son réquisitoire. Né de cet Amour naissant, le titre du poème se métamorphosait en «Roumanie mon Amour» !

    Pour rien au monde, elle ne voulait me culpabiliser, pour avoir écouté la voix de mon cœur. En quelques secondes, je devenais son héros. Elle m’enlevait c’est vrai, une grosse épine du pied. Car entre les deux appels, je n’avais cessé de repenser au chagrin qu’elle aurait pu avoir si hélas, je venais à mourir dans cet âpre combat. Ce qui n’était qu’un prétexte. Car en respectant la logique du destin, que ce soit en Roumanie ou sous les roues d’un camion, quand mon heure sonnera, personne ne pourra l’arrêter. Tout rentrait dans l’ordre. Après une seconde lecture du poème, rebaptisé en son honneur, nous nous quittions encore plus grands dans notre relation.

    La fin de l’année 1989 approchait à grands pas. Le Tout-Puissant n’avait finalement pas tenu à ce que je parte en Roumanie. Le lendemain en effet, le ministère de l’Intérieur m’appelait, pour me signifier que le contingent de renforts prévus était annulé. Inutile de préciser que Bibiche a explosé de joie en apprenant la nouvelle !

    Entre cette soirée et le 31 décembre, les jours n’auront jamais été plus longs ni disgracieux. Plus nous nous approchions de notre nuit d’amour, dont il était tant question dans nos conversations quotidiennes, plus j’étouffais d’impatience. Pour mieux tuer ces longues et interminables journées d’attente, j’étais parti passer quelques jours chez mes Parents. Habituellement, entre Noël et Nouvel An, j’avais du mal à trouver une minute à moi. Là, durant des journées entières, je laissais vagabonder mon amour au gré de mes promenades, dans une campagne éclatante de complicité. Malgré la pluie, la neige ou bien le vent, je déambulais tel un automate.

    L’authenticité des paysages prenait une ampleur inouïe. J’ai toujours aimé la nature et les symboles qu’elle incarne. Durant ce séminaire, elle était revêtue de ses plus beaux atours. Je ne faisais rien d’autre, que poursuivre l’épuration de mon subconscient. La lente et subtile métamorphose, qui m’avait permis de conquérir le cœur de ma dulcinée, se poursuivait.

    Je prenais conscience de toutes ces richesses qui nous entourent, et dont nous méprisons l’éclat. Un arbre n’est qu’un arbre, pour la grosse majorité des gens. Dieu qu’il est majestueux, sitôt qu’on lui confère une personnalité. Les fleurs, les oiseaux, le soleil, étaient mes complices et les précieux témoins, de la transformation morale à laquelle je me livrais. Jamais je n’avais découvert la féerie d’une gouttelette d’eau, mirant ses reflets nacrés sur le bord d’une feuille. L’écho de mon cœur se mêlait aux multiples sons, émanant de cette forêt mystique. Les rayons d’un pâle soleil hivernal, filtré par les branches bondées de neige, coloraient cet environnement de mille éclats multicolores. J’avais envie de peindre, de filmer ou prendre des photos, pour immortaliser des scènes aussi merveilleuses.

    Le chant des oiseaux, le murmure des cascades, amplifiaient mon émoi. Je m’enivrais de ces paysages, en tout point magnifiques. L’amour conférait à mes balades une authentique cure de bien-être. Trempé jusqu’aux os, les joues rouges et le bout du nez froid, j’avais l’impression de renaître. Je muais. Même mes Parents en restèrent pantois. C’est dire si j’avais vraiment changé. Le gamin, capricieux et sûr de lui, laissait la place à l’homme qui était en train de venir au monde. Les conseils prodigués par mes Parents devenaient eux aussi, des compagnons merveilleux, que je réfutais jusque-là.

    En m’investissant dans cet amour sans limites, je me rapprochais d’eux par la même occasion. À l’instar de mes Parents, je redoutais quand même un peu la supériorité sociale évidente de Bibiche. Je ne savais rien d’elle, en ce qui concernait son travail. Il était évident que ses moyens financiers étaient plus étoffés que les miens !

    À en juger le fabuleux colis, qu’elle m’avait offert pour Noël, rempli de présents et surtout, d’une coquette somme d’argent : «Pour t’offrir une belle soirée» précisait-elle dans sa lettre ! Avec ce petit trésor, j’avais de quoi vivre plus d’un mois ! Visiblement pour elle, ce n’était «Pas grand-chose». D’où mes craintes et la prudence imposée. Je ne voulais en aucun cas, me faire entretenir et donner de moi, une fausse image.

    Certes, j’étais au chômage, mais mon honneur tremblait à l’idée d’être dépendant de quelqu’un, sur le plan financier. Sur ce projet, mes Parents en étaient subjugués. Avec une pondération certaine, je leur faisais part de mes intentions de trouver un emploi. Je devais coûte que coûte, à l’aube de cette nouvelle vie, sortir de mon euphorique léthargie et assumer pleinement ma vie d’homme. L’amour me donnait des ailes, en même temps qu’il sécurisait totalement mes Parents. Leur «Fiston» prenait enfin conscience de ses responsabilités !

    C’était leur version naturellement. Car de mon côté, après avoir traversé tous ces déserts, je n’avais vraiment pas l’impression d’avoir manqué à mes engagements à aucun niveau ! J’étais tellement euphorique et amoureux, que je leur pardonnais leurs excès de paternalisme. Maman poule et Papa grincheux, devenaient les deux êtres merveilleux, dont je m’étais éloigné au fil de mes épreuves. Je les retrouvais donc avec un immense plaisir. L’année 1990 pointait son nez. Elle promettait d’être d’autant plus émouvante, qu’elle avait débuté sur les chapeaux de roues. Le 1er janvier, alors que nous nous apprêtions à passer à table avec mes Parents, un fleuriste apportait une gerbe à la maison. Une petite carte signée Bibiche, les faisait presque chavirer de bonheur.

    Ce n’était pas tout ! À peine avions-nous commencé le repas, que la douce et tendre Bibiche appelait. J’ai bien cru que Maman allait fondre en larmes. Papa, fidèle à sa réputation de dur, n’en pensait pas moins. Ils savaient tous deux, qu’elle appelait des Canaries. Ce qui en soi, représentait déjà un geste extraordinaire.

    La douceur et la tendresse, avec laquelle Bibiche leur présentait ses vœux, les ont placés dans une position d’enchantement total. La gerbe, le coup de téléphone, il n’en fallait pas plus pour les convaincre, de la valeur de ma future compagne. C’est marrant comme les craintes à son sujet se sont dissipées et ont fondu comme neige au soleil. C’était la première fois qu’ils se sentaient valorisés par leur future belle-fille ! Comme ils m’avaient fait promettre de ne plus leur présenter les amies avec qui je vivais, ils étaient pris à leur propre jeu. Je refusais d’accentuer cet avantage et les rassurais au sujet de Bibiche. Sitôt que notre rencontre aurait eu lieu, le 12 janvier exactement, et que les choses seraient bien claires dans nos esprits, les présentations seraient inscrites à l’ordre du jour.

    Raison de plus pour m’arracher, et tout mettre en œuvre pour trouver un emploi. Ce que je fis dès le lendemain. Hélas! Comme je le redoutais un tant soit peu, les offres d’embauche ne pullulaient pas. Si j’avais dû compter sur l’agence pour l’emploi, je serais sans doute encore en train d’attendre ! Je note au passage, trente ans après, que c’est toujours identique… Les jours s’écoulaient à une vitesse vertigineuse. Plus je m’approchais du 12 janvier, plus je m’affolais de n’avoir toujours pas de travail.

    Le magnétisme était toujours en attente. Je ne le négligeais pas naturellement, mais j’accordais une totale priorité à mon avenir professionnel, conscient qu’il ne serait là que pour apporter un plus, aux gens qui en bénéficiaient. D’autant que mes rapports entre l’argent et le magnétisme étaient de plus en plus antagonistes. Ce n’était pas avec lui que je pouvais décemment concevoir une vie commune auprès de Bibiche.

    Harcelé de toutes parts, coincé par le manque d’argent, je commençais à perdre espoir. Mon cher banquier de l’époque m’avait réduit à l’état de dépendance totale. Après m’avoir fait miroiter une aide avec un découvert, il s’était fait un plaisir de me présenter son mépris en refusant mes chèques. Interdit de chéquier, avec des agios énormes, je ne savais plus comment faire. Il fallait que j’assume. D’autant que les promesses d’embauche arrivaient. Seulement voilà, comment envisager de commencer un boulot, sans avoir de quoi se payer un billet de train ? Car cette crapule de banquier faisait la sourde oreille à mes appels désespérés ! Il jouissait de sa pseudo supériorité et je n’avais qu’une envie, lui démonter le portrait.

    Deux jours plus tard, quelle ne fut ma surprise ? Alors que je venais négocier une avance, pour me rendre à Paris, j’étais interloqué par l’accueil qu’il me réserva. C’était tout juste s’il ne mettait pas le tapis rouge, pour m’accorder un entretien. En quelques minutes, je réalisais que quelque chose était en train de se passer. Non seulement mon compte n’était plus au rouge, mais de surcroît, je disposais d’environ six mille francs ; en 89, c’était une fortune pour moi !

    En ces minutes exceptionnelles, je prenais acte de l’ampleur du désastre, dans lequel le pouvoir de l’argent était enlisé. Ce guignol de banquier se perdait en éloges envers Bibiche, qui venait de m’apporter ce bol d’oxygène. Il n’en fallait pas davantage pour m’écœurer et me donner envie de vomir, sur ce requin pourri jusqu’à la moelle. En guise d’acceptation de ses propositions «Juteuses» de placements, aussi corrompues que son mental, je préférais retirer en totalité les fonds dont je disposais. En lui précisant que je travaillerais désormais, avec de vrais professionnels !

    En encaissant mon argent, j’éprouvais des signes de malaise. Certes, jamais je ne le contesterai, j’étais vraiment soulagé. Grâce à cette entrée d’argent providentielle, j’allais pouvoir liquider la plus grosse partie de mes dettes. Seulement, voilà, il ne m’appartenait pas. Bibiche avait Dieu sait comment, réussi à trouver mon numéro de compte et effectué ce virement. Cette attention, louable et généreuse au demeurant, n’en représentait pas moins tout ce qui m’effrayait. Par principe d’une part, et par fierté d’autre part, je n’avais jamais accepté qu’une fille puisse subvenir à mes besoins. Étais-je en train de faillir à mes règles ? Heureux d’un côté, je me sentais bien plus honteux et coupable. L’antagonisme entre mes deux personnages m’ébranlait le reste de la journée. Le romantique, accordait au geste de Bibiche une aura salvatrice. Le vagabond quant à lui, essayait de puiser dans cette démarche, une occasion de la discréditer. N’était-elle pas en train de me mettre le grappin dessus ?

    Quittant mon doux nuage, je passais des heures en attendant le soir. Il fallait que j’aie le courage d’expliquer à ma dulcinée, le danger face à de telles marques de tendresse. Les longs mois de privations, de sacrifices, surgissaient au fond de mon cœur dans un galop effréné. Pendant de longues minutes, je revivais ému, les scènes les plus dures. En fermant les yeux, brouillés par les larmes, je pouvais même sentir les odeurs du jambon, que je découpais avec parcimonie pour donner à ma fille, un petit bout de viande, midi et soir. Je ne regrettais pas ces privations, certes. Elles étaient là, pour me demander simplement, de ne pas céder aux tentations de la facilité.

    Jusqu’à ce jour, l’argent que j’avais eu, je l’avais toujours sué. Jamais, il ne m’avait été apporté sur un plateau, comme avec Bibiche. Plateau d’amour c’est vrai. Devais-je pour autant, déroger à mes règles ? Pour rien au monde, je ne devais accepter pareille générosité. Si la vie devait nous réunir, il serait temps d’envisager les rapports différemment. Pour l’instant, il n’était pas question de me laisser embarquer sur la voie de la facilité.

    Comme tous les jours, après le dîner, Bibiche m’appelait. Je redoutais cet appel. Non par manque de courage, mais par peur de la vexer. Calmement, après l’avoir remerciée sincèrement, je développais le fond de mes pensées. Elle comprenait très bien ma position. Loin de m’en vouloir, elle essayait au contraire de me prouver que j’avais tort. Après tout, elle n’avait désormais que moi dans sa vie et il lui paraissait normal, de veiller à mon bien-être. Sa logique était imparable. Elle se sentait motivée, comblée de pouvoir donner un sens à sa vie. Délaissant son confort personnel et égoïste, elle cherchait avant tout, à faire mon bonheur.

    Mettant à profit l’occasion qui s’offrait à elle, Bibiche en venait à ce qui la turlupinait depuis son retour des Canaries. Malicieuse et très futée, elle amenait la conversation sur les projets de vie commune. Elle s’efforçait de noyer le poisson et sans que je n’aie pu m’en rendre compte, me soutirait les vers du nez. Passant d’un sujet à l’autre dans notre discussion, sans transition et avec habileté, j’avais du mal à garder les esprits clairs. En quelques minutes, elle savait tout ce qu’elle voulait connaître sur mes besoins à tous niveaux.

    Moi, avec mes gros sabots, grisé par cette avalanche de douceur et de tendresse, je n’y voyais que du feu. Entre deux spasmes vaporeux tout de même, je réussissais à lui faire avouer comment, elle avait pu se procurer tous ces renseignements bancaires. Sa réponse, aussi logique qu’irréfutable, me laissait dans le flou le plus complet. C’était cours de sa dernière visite. Après naturellement que je me suis confié au sujet de mes ennuis avec la banque. Elle avait tout bêtement relevé mes coordonnées sur un chéquier, qui traînait sur le bord du buffet. La suite, avait été un jeu d’enfant pour elle.

    Que pouvais-je répondre ? Elle se montrait tellement persuasive, que je craquais au fur et à mesure qu’elle prenait l’ascendant sur moi. Puisque j’avais un rendez-vous à Paris, je devais m’y présenter de la meilleure façon qui soit. Costume, pardessus, attaché-case... Rien ne devait jurer. Je sentais bien à cet instant, l’attachement qu’elle portait à la coquetterie. Elle voulait vraiment faire de moi, un autre homme. Enveloppé, saucissonné, muselé même, je ne pouvais que rendre hommage à sa sincérité.

    Ce qui me rassurait, c’était qu’à aucun moment, je n’ai senti un esprit de supériorité de sa part. Loin de chercher à m’épater, elle désirait uniquement me rendre élégant. Il est vrai qu’à cette époque, je traînais avec les mêmes vêtements pendant plusieurs mois. Et comme jamais personne, ne m’avait valorisé de cette manière, je sentais mon ego tressaillir, en l’écoutant murmurer tant de douceur. Avec au fond de moi un arrière-goût de repentir, j’accédais finalement à ses désirs. Plus question de me culpabiliser exagérément, au risque de froisser Bibiche. Je mettais mon honneur dans ma poche et un mouchoir par-dessus, accordant à Bibiche le droit de veiller sur ma personne. À condition toutefois, que cela reste dans les règles de la bienséance.

    Vendredi 12 janvier 1990 ! Le grand jour était enfin arrivé. J’étais doublement satisfait. Mon premier grand vicaine avec Bibiche avant tout. Soulagé surtout d’avoir enfin trouvé un emploi. Le 8 janvier, je m’étais rendu à Paris, habillé comme un prince. L’habit ne fait pas le moine c’est vrai, mais tout de même. J’avais en main mon contrat d’embauche et j’en étais vraiment fier. Depuis la veille, j’avais fait mes bagages. Je les avais contrôlés au moins dix fois ! Ému, bouleversé, je ne savais plus où j’habitais. Afin de ne pas prendre le risque d’être une loque, en me couchant le soir, j’avais pris une bonne dose de somnifère.

    En me réveillant, j’avais la bouche pâteuse, mais le cœur en folie. Nous avions convenu de nous retrouver dans la même ville que pour notre première rencontre. Cette fois, sans chercher pour autant à satisfaire la caissière de la gare à Albertville, j’avais décidé de prendre le bus ; histoire d’amoindrir l’attente. La journée promettait d’être longue. Il était à peine sept heures du matin et mon autocar quittait la ville à dix-sept heures. Dix heures à tourner en rond, cela me paraissait gigantesque. Il fallait que je prenne mon mal en patience. Je redoutais davantage de penser exagérément à ce vicaine.

    D’accord, il serait un test grandeur nature, sur nos désirs réciproques et sur la solidité de nos aspirations. J’avais peur, à force de me focaliser sur cette rencontre, d’en rechercher malgré moi les failles et les risques. Chat échaudé craignant l’eau froide, je ne voulais en aucun cas, me précipiter en rien.

    Durant les premières heures de la matinée, j’étais partagé entre ma passion pour Bibiche et mon passé, toujours présent. Après un petit déjeuner pour le moins succinct et un bon bain, je retrouvais partiellement mes idées claires. Lentement mais sûrement, le poète écartait le vagabond.

    Je me laissais bercer par les souvenirs, en relisant les cartes postales qu’elle m’avait envoyées depuis les Canaries. En fermant les yeux, j’entendais les battements de son cœur, quand elle était en train de me transmettre ses messages d’amour. Ce n’était pas grand-chose, mais suffisant pour me permettre de ne plus voir l’heure tourner.

    Transporté au firmament de cet état presque second, après deux ultimes contrôles de mes bagages, je me mettais à réciter quelques poèmes. Je lui avais promis, le soir de notre première nuit chez elle, de lui offrir un mini récital. Raison de plus pour mettre le paquet et par la même occasion, dominer le trac et l’impatience. Tant et si bien qu’au bout de deux heures, j’étais surpris de constater qu’il était passé treize heures. Miracle ! Je redoutais bien plus la matinée que l’après-midi. Car, tous les jours depuis le mois de novembre, écoutant les conseils de ma divine Bibiche, j’affectionnais les siestes après déjeuner. Je n’étais pas du tout fatigué ce jour-là, mais tout de même, une fois mon repas terminé et le ménage effectué, je me laissais emporter dans les bras de Morphée. Ils n’étaient pas aussi doux que ceux de Bibiche, mais plus sécurisants que l’angoissante attente. Heureusement que j’avais pris la précaution de mettre un réveil ! Car, enivré d’euphorie, par les rêves fous et mes pensées lubriques, j’étais déçu de retrouver brusquement l’amère solitude du présent.

    Je venais de vivre en secret, tous les fantasmes auxquels nous nous étions livrés au téléphone, au cours de nos derniers entretiens quotidiens. Le vicaine s’annonçait particulièrement chaud ! Il était un peu plus de seize heures quand enfin, ayant retrouvé mes esprits, je pris le chemin de la gare.

    À dix-sept heures trente exactement, nous pouvions échanger un très long et langoureux baiser, après plus d’un mois d’attente. Elle était encore plus belle à mes yeux. Malgré le froid assez vif en cette période de l’année, nous sommes restés enlacés durant plus de dix minutes. Nous avions tellement de choses à nous raconter, que nous ne savions pas par où commencer.

    *   *

    *

    CHAPITRE TROISIÈME

     «Au cœur de ma mission»

     Au fil des jours, je m’installais dans une sorte de béatitude. Pourtant, après six semaines de pratique dans ma nouvelle ville de Genève, je me posais certaines questions. Comment se faisait-il que Dieu ne m’apportait pas plus de patients ? J’avais terminé mes soins avec mes anciennes patientes en France, et je n’avais pas l’équivalent sur mon nouveau territoire Suisse.

    Terrorisé à l’idée de me faire entretenir, je prenais la situation très au tragique. J’avais beau supplier le Tout-Puissant, l’implorer, rien n’y faisait. Naturellement, je m’insurgeais contre Lui. J’étais tétanisé de ne pas gagner ma vie, financièrement parlant. Il me fallait coûte que coûte, trouver le moyen de subvenir à mes besoins.

    J’ai eu beau tourner dans tous les sens la question, je ne voyais qu’une solution : appliquer des tarifs à mes séances. N’était-ce que pour offrir une participation même minime, aux dépenses de notre couple ? Difficile cependant, de contourner l’obstacle que cela érigeait dans ma tête. Contraint et forcé, je me résignais donc à établir une liste de prix, en fonction des différentes prestations. Celles-ci étaient basées sur la durée des séances uniquement. Puisqu’à cette époque je n’étais pas encore masseur. J’essayais toutefois de rester dans une fourchette raisonnable. Je ne demandais pas des sommes astronomiques, par rapport à certains de mes «Confrères», mais je ne réalisais pas que je glissais sur la mauvaise pente. Le DON ne doit en aucun cas servir de tremplin à l’élaboration d’une richesse personnelle.

    J’étais mal, oui, très mal même ! Que pouvais-je faire pour occulter de mon esprit, ce redoutable ennemi qu’était mon orgueil ? Enraciné dans mes principes, il me fallait à tout prix prouver à ma Bibiche, que je n’étais pas un profiteur. Tous les jours, elle me rassurait à ce propos. Elle voyait bien dans quelle galère je m’étais fourré. En dépit de ses efforts, malgré son insistance, elle ne pouvait pas m’enlever du cœur, le poids qui m’oppressait. Elle acceptait même, pour m’aider à franchir ce mauvais pas, de ne plus m’apporter de cadeaux aussi souvent.

    Ce n’était pas des somptueux présents, mais tout de même. Elle luttait de toutes ses forces, consacrait une grosse partie du peu d’énergie dont elle disposait, pour me faire admettre une fois pour toutes que c’était normal. Elle savait que je souffrais avant tout, de ne pas pouvoir lui offrir les cadeaux que je mourais d’envie de lui donner. Même si j’avais gagné dix fois plus avec mes séances, je n’aurai jamais pu payer ne serait-ce que la moitié des charges !

    Je n’étais pas dupe à ce niveau. C’était ma seule envie de lui être agréable et de lui faire plaisir, qui se trouvait frustrée. Elle se montrait une fois encore, impériale et souveraine. Ne me disait-elle pas que son plus beau cadeau c’était moi ? Que depuis mon arrivée, sa vie était devenue un paradis quotidien ? Plus doux encore, qu’elle pouvait savourer les bienfaits de se sentir adorée ? Sans cesse, elle avait un argument pour contrer mes rhétoriques sur des vertus, qui n’avaient plus court en cette fin de siècle. Pour m’opposer à ses logiques absolues, je lui rétorquais presque sournoisement qu’elle devait réviser ses théories sur ces mêmes valeurs. Pourquoi vouloir empêcher une personne d’en remercier une autre ? Car pour moi, lui offrir n’était-ce qu’une gerbe de fleurs, était un témoignage de gratitude. En suivant son raisonnement, je devais me priver de ce bonheur de dire merci, simplement parce que ce geste appartenait au passé ?

    À longueur de journée ou presque, j’étais confronté aux malheurs et à la souffrance des gens. Ma clientèle, presque entièrement féminine, m’incitait à entretenir ce jardin dans lequel, s’épanouissait notre amour. Plus je rencontrais le malheur, plus j’avais envie de conforter notre bonheur. Bibiche comprenait vite l’importance de ce besoin manifeste, à lui apporter autre chose que des mots, pour lui prouver ma reconnaissance.

    Ces petits gestes, anodins au demeurant, qui manquent tant aux couples qui sont étouffés par les habitudes et l’indifférence. Ces petits riens qui transforment la grisaille, en paradis lumineux. Ces petits gestes enfin, que l’on apprécie tellement quand ils apportent, en même temps que l’éclat de leur beauté, les senteurs de l’amour dont ils sont porteurs. Je n’ai pas eu besoin d’insister davantage.

    En défendant ma cause, à propos des sommes que je demandais, Bibiche en admettait le principe autant que le bien-fondé. Elle ne se mettait donc plus en travers, jugeant que j’avais suffisamment de difficultés à surmonter le handicap, qui était généré par l’argent. Elle connaissait très bien mes convictions à ce propos, et savait que ce n’était pas de gaieté de cœur tant s’en fallait. Nous restions sur nos positions quelques jours encore. Le temps pour moi d’accumuler une poignée de francs. Un soir, à son retour du bureau, Bibiche a réalisé l’importance de ce dont nous avions discuté. Une magnifique plante verte, une petite blouse, et un quatrain lui ont fait prendre conscience de l’immensité de ma joie, en la voyant laissé couler quelques larmes d’émotion. J’avais pu assouvir mon besoin de lui dire merci, à ma façon. Les mots étaient inutiles. Elle était émue, j’étais aux anges. Dès le lendemain hélas, je commençais à déchanter. La réponse du Tout-Puissant ne tardait pas. Deux de mes rendez-vous étaient annulés. J’avais misé sur cette rentrée d’argent, pour inviter Bibiche au restaurant.

    Immédiatement, je comprenais que je faisais fausse route, mais je ne pouvais contenir ma peine. J’étais fou de rage. Durant de longues heures, je manifestais ma colère envers Dieu. Pourquoi me privait-il de ce plaisir ? Pour quelle raison, me mettait-il en pénitence ? Je ne demandais pas la lune pourtant. Un peu d’argent, rien de plus. J’avais l’impression d’être un mendiant, en quête d’une obole. Loin de percevoir le moindre message, je me sentais repoussé.

    Je n’étais pas au bout de mes surprises ce jour-là ! Non content de m’avoir fait perdre deux patientes, les deux personnes que je recevais n’avaient pas d’argent sur elles ! Là, j’ai bien cru que je faisais un infarctus. Capricieux, colérique, j’entrais dans tous mes états. Comme chaque fois, car je n’en étais pas à mon coup d’essai, je décidais de tout envoyer sur les roses. Je voulais bien m’investir pour les autres, mais je n’admettais plus, de me sentir manipulé. J’égrainais furieux durant des heures, mon chapelet d’incompris. Tout y passait : les injustices, l’argent, le racisme, la politique... J’arrivais même à me persuader que j’étais au fond, le seul être malheureux sur terre.

    Pourquoi m’avoir investi de cette force, si c’était pour m’interdire de rendre ma fiancée heureuse ? Comme si l’argent pouvait rendre heureux ! Durant ces crises, j’étais loin de l’admettre. Je me sentais persécuté, abandonné, quand je n’allais pas jusqu’à prétendre être inutile ou nuisible. Une fois l’orage passé, la tempête apaisée, Dieu dans sa clémence et sa miséricorde, m’apportait la preuve irréfutable de sa présence. Pour confirmation, toujours ce même jour, après un bon bain pour me calmer, le téléphone sonnait à quatre reprises. Le premier appel c’était ma tendre dulcinée. Elle comprenait vite que j’étais encore à côté de mes godasses.

    Les trois autres ? Des nouveaux patients ! Fallait-il que Le Tout-Puissant soit dans de bonnes dispositions envers moi ? Je me sentais honteux. Il me connaissait mieux que personne. Il savait bien qu’une fois en possession de ces nouveaux rendez-vous, je me perdrais en remords. Ce qui ne manquait pas à la tradition. Je me confondais aussitôt en pardon, tout en Le remerciant pour son amour et sa générosité.

    Ce soir-là, Bibiche éclairait ma lanterne. Comme je mettais visiblement trop de temps à comprendre les messages qui me parvenaient, elle m’expliquait clairement comment elle voyait les choses. Loin de réfuter sa version, je prenais acte de ses remarques fortes judicieuses et pleines de logique. Selon elle, j’étais à côté de la plaque. Elle m’ouvrait les yeux.

    En quittant mon nuage, je réalisais que le personnage que je croyais incarner était aux antipodes de celui que Dieu voulait façonner. Certes, mon magnétisme était offert avec amour. Obnubilé par mon désir de combler Bibiche, je n’offrais de cette force qu’une image relative.

    Avant de songer au travail, que j’allais devoir accomplir sur mes patients, je comptabilisais ce qu’ils représentaient sur le plan financier. Les sommes n’étaient pas importantes, mais c’était ce qu’elles symbolisaient pour moi qui primait par-dessus tout. En attendant, et c’était là-dessus que Bibiche s’efforçait d’attirer mon attention, je n’étais pas du tout en harmonie.

    L’amour que je pensais offrir à mes patients était superficiel. Car il était perturbé par celui dont j’enveloppais ma future épouse. Mes intentions étaient louables, mais fort de ces avertissements, il fallait à tout prix changer mon fusil d’épaule. J’écoutais Bibiche avec la plus grande attention. Calme, sereine, elle éclairait les zones d’ombre de mon subconscient. Je n’avais, pour m’en sortir, pas d’autres alternatives que revoir mes scrupules et mes théories sur l’argent. Quant à mes caprices, s’ils se répétaient trop souvent, ils risquaient de provoquer la colère du Tout-Puissant. Je devais arrêter de jouer avec le feu.

    Lentement mais sûrement, Bibiche gagnait du terrain. Mes craintes, mes doutes, autant que mes principes et mes préjugés, s’estompaient au fur et à mesure de la conversation. À cause d’eux, je m’exposais aux pires difficultés. La leçon qui venait de m’être donnée, entre les annulations et les montants non encaissés, s’avérait suffisante.

    À aucun moment, je ne devais penser argent, au détriment du bien-être que les gens venaient chercher. Que ce soit pour le plaisir de quelqu’un, en l’occurrence Bibiche, ou pour des motifs personnels. C’était une manière déguisée d’anticiper sur l’avenir. Aussi louables qu’elles fussent, les intentions n’étaient pas pures. Je plaçais mon plaisir personnel, avant l’intérêt de mes patients. Ils n’étaient pas sacrifiés, mais quand même.

    Bibiche avait raison. Dieu n’accepte pas de ceux en qui Il a placé sa confiance, que l’argent dénature l’essence même de ce qu’Il a le plus de mal à faire admettre : L’AMOUR DIVIN ! La situation que je traversais était une épreuve, que je devais accepter comme telle. Plus je chercherai à en éluder l’authenticité, plus je connaîtrai des périodes analogues à celle rencontrée au cours de cette journée. Hélas, tout n’était pas aussi facile. Je comprenais aisément et je n’avais qu’un désir, occulter à jamais ces écarts de mon esprit. Le passé ne m’en laissait guère le loisir. C’était bien ce qui me hantait le plus.

    Ne voulant pas me faire prier ni passer pour plus bête que je n’étais, je prenais bonne note de tout ce que je venais d’entendre. Pour m’aider à me déculpabiliser totalement, Bibiche suggérait une idée géniale. Je faisais le ménage, la vaisselle, et toutes les tâches au foyer ? Alors, je méritais un salaire ! Joignant l’acte aux paroles, elle me tendait une enveloppe, dans laquelle se trouvaient trois cents francs. Le mois suivant, elle prévoyait une augmentation. Ainsi, sans courir après l’argent des séances, je pourrai quand même lui offrir des petits cadeaux, quand bon me semblerait. Avec une dextérité remarquable, elle effaçait mes craintes et mes préjugés.

    Plus je m’approchais de la clarté, plus elle me guidait, sans jamais me précéder en rien. Elle attendait que je commette une erreur, pour m’aider à en prendre conscience. Intuitive, elle était tout aussi habile. Jamais, elle ne cherchait à imposer ses idées. Elle ouvrait la porte de ma conscience et me laissait seul, dans l’intimité de ma réflexion.

    Je devais à tout prix ressentir les choses et comprendre, ce qui n’était pas juste. Grâce à ma douce Bibiche, je réalisais pourquoi, je m’étais montré jusqu’ici agressif, envers celles et ceux qui cherchaient à me guider. Ils avaient sans doute raison, comme Bibiche, mais je n’avais pas saisi comme eux, la subtilité des modifications à apporter ; d’où ces déferlements intempestifs de violence. J’étais fragile, elle le savait, ce qui lui permettait en plus d’exprimer pleinement ses capacités de psychologue. Elle anticipait, mais se mettait en retrait, pour ne pas me voir sombrer dans le néant du regret. En effet, sitôt que je saisissais l’évidence d’un faux pas, immédiatement, je me culpabilisais. Je me sentais fautif devant Dieu, et ne savais plus comment faire pour lui demander pardon.

    Ce soir-là par exemple, après avoir analysé le bien-fondé des remarques de Bibiche, face à mon attitude envers l’argent, j’étais pris de panique. Sans transition, je passais du coq à l’âne. L’excès d’enthousiasme effaçait aussitôt la morosité. Désormais, mes séances seraient à nouveau offertes. Les messages transmis par Bibiche me résonnaient dans la tête. Ma petite «Paye» couvrirait largement mes besoins en matière de cadeaux.

    Car pour moi naturellement, je ne prévoyais rien ; j’étais déjà bien trop gâté et chouchouté sans raison. Elle me laissait terminer mon exposé, avec l’euphorie et l’exaltation qui me caractérisaient, sitôt que je m’enflammais pour quelque chose. Ensuite, plus câline et tendre que jamais, elle m’attirait contre elle et me parlait comme à l’enfant, que j’étais en train de devenir dans son cœur.

    Ce côté maternel, qui m’avait manqué à moi aussi, me faisait un bien énorme. Je réalisais surtout, l’ampleur que Bibiche était en train de prendre pour moi. Elle faisait un résumé concis des valeurs, auxquelles je devais m’attacher par rapport à l’argent. Pas question d’offrir toutes les séances. Plus question non plus, d’exiger des sommes fixes.

    Que faire alors ? Très simple. Elle me faisait comprendre où était le juste milieu. L’argent étant à ses yeux un outil de communication. Il permet à deux individus d’échanger. Donner, c’est aussi recevoir. Imposer un tarif était une sorte de sectarisme. Seuls les gens aisés pourraient avoir accès aux séances ? Où était dans ce cas, l’amour que je prétendais apporter ? Laisser à chacun, en fonction de ses moyens, le soin d’offrir en échange une équivalence en argent ou autre, voilà sur quelles bases, je devais étayer ma façon de travailler. Sans me soucier des dérapages auxquels j’allais devoir faire face. Les abus des profiteurs, car ils ne manqueraient pas nous en étions conscients, il fallait donc prévoir de les gérer de la meilleure façon possible.

    Plus les gens étaient fortunés, plus ils étaient avares. Je le savais et j’en avais fait l’amère expérience. Ceux-là mêmes qui bientôt, profiteraient de mes largesses d’esprit ne seraient pas plus coupables que les autres. En aucun cas, je ne devais tomber dans leurs pièges et me venger, en leur faisant des séances au rabais. Pour m’aider à vaincre l’adversité à ce sujet, Bibiche évoquait la noblesse de ma mission. Le plus important, c’était que je me sente bien dans ma peau. Les gens, je ne pourrai jamais les changer de toute manière ! L’atmosphère devenait plus respirable. Plus de tarifs imposés.

     *   *

    *

     Les jours qui ont suivi confortaient ce que Bibiche m’avait conseillé. En l’espace de quatre jours, mon planning pour la semaine suivante était presque plein. Dieu me faisait comprendre que j’étais sur le bon chemin, et m’encourageait le plus simplement du monde. En même temps qu’Il décidait, sans l’ombre d’un doute, de me confronter à des cas beaucoup plus sérieux, que ceux que j’avais rencontrés jusqu’ici.

    Les deux premiers patients, de cette «Nouvelle série» pourrais-je dire, en étaient la démonstration. Une jeune femme souffrait d’allergie faciale. Tous les ans au printemps, elle avait le visage et le crâne entièrement recouverts de boutons. Sans parler des tensions nerveuses inhérentes à son état.

    Angoissée de nature, je devais dans un premier temps, lutter contre ses excès nerveux. Pour ce faire, j’appliquais la méthode classique du traitement contre l’angoisse avant tout : main droite en imposition, largement ouverte, je partais du sommet du crâne et descendais jusqu’au coccyx. Les passes étaient très lentes.

    Au bout d’une dizaine seulement, ma patiente éprouvait les signes d’un relâchement nerveux sensible. Ensuite, allongée sur le dos, j’appliquais ma main gauche sur le plexus solaire, pendant dix minutes environ. Les tensions étant en régression, je pouvais alors effectuer les séances spécifiques, pour neutraliser les boutons. Impositions sur le crâne et le visage, les deux mains parallèles. Respectant la polarité des énergies, notamment positif à droite puisque ma patiente était droitière, je travaillais face à elle. Ma main gauche se trouvait ainsi sur le flanc droit de son visage et la droite, sur sa partie gauche. Il n’y avait que sur le crâne où j’appliquais mes mains du même côté ; ceci pour tenir compte de l’inversion des hémisphères du cerveau.

    J’effectuais ensuite un travail intense, en application sur le foie et les reins, pendant dix minutes, exactement comme s’il s’était agi de problèmes cutanés. Pour terminer mes séances, je dynamisais les Chakras. Pour elle, après six séances, le problème était totalement résolu.

    Le second patient incarnait par contre, tout ce que le magnétisme venait de m’enseigner. Rester maître de ses pulsions, ne pas se prendre pour un médecin, ne pas chercher à impressionner. Ce brave homme offrait, bien malgré lui, la panoplie complète de tout ce qu’il fallait et ne fallait pas faire en magnétisme. Écorché vif, il résumait la totalité des problèmes, que j’avais dû surmonter dans le passé. Abandonné, délaissé, incompris, mutilé dans son âme et dans son corps, perdu, désemparé autant que désabusé, il ne savait plus du tout à quel Saint se vouer.

    Complètement drogué, par un excès d’analgésiques prescrit par son médecin : 8 cachets de Témesta 2,5 mg par jour ! Il arborait en fait l’étendard du parfait cobaye. Le Tout-Puissant ne faisait pas dans la dentelle en m’adressant ce brave homme !

    Après une anamnèse aussi concise que possible, j’engageais le défi. Malheureusement, après un quart d’heure d’activation des Chakras, le résultat fulgurant me donnait la jaunisse. À demi paralysé par la douleur, mon patient ne pouvait presque plus bouger. En bon Français que je suis, je dirais que je me sentais le cul pailleux ! Que faire ? Invoquant un repos nécessaire au patient, je m’isolais tristement dans ma chambre. Je feuilletais mes ouvrages, avec une anxiété et une peur caractéristiques. Faute de grive on mange du merle ? Ce dicton me sauvait momentanément.

    Jouant le faux malade, je téléphonais à l’un des magnétiseurs les plus connus sur la place. Je décrivais les symptômes et prenais note de ses recommandations. Voulant aller au bout de mes investigations, je lui demandais s’il pouvait lui, faire quelque chose, et... comment !

    Il entrait dans une série d’explications assez floues, mais suffisamment précises pour me permettre d’en extraire ce que j’étais venu glaner. Il était fier d’étaler son savoir-faire, auprès du néophyte que je semblais être à ses yeux. Comme quoi, la modestie n’était pas l’une de ses qualités premières ! Je me moquais de ses débordements, me contentant de traduire au mieux, les données qu’il me communiquait. Au fur et à mesure que tout devenait clair dans mon esprit, je sentais une bouffée de chaleur m’envahir. Je quittais mon «Sauveur», en lui promettant de le rappeler si mon état ne s’améliorait pas. Succinctement, il m’avait mis la puce à l’oreille. J’avais mis les pieds dans le plat avec mon patient. Au lieu de relaxer, j’avais dynamisé tous les Chakras !

    Ce qui a eu pour effet d’amplifier les tensions existantes. La force du magnétisme, opposée aux effets inverses des tranquillisants, avait de quoi provoquer certains troubles. L’antagonisme des forces en présence étalait devant moi son tapis. Je comprenais mon erreur et cette leçon, n’était pas prête de me quitter. Les dangers étaient nuls, mais les effets eux, n’étaient pas une illusion !

    Je reprenais ma séance calmement, mais avec ma main gauche. L’intensité des douleurs s’étant amenuisée me permettait de poursuivre mon travail. Cette fois, j’appliquais l’antidote à la lettre. L’un après l’autre, je passais les Chakras en revue. Étant droitier, je travaillais alors avec ma main gauche, qui produisait un effet «D’aspiration et d’affaiblissement», de l’énergie excédentaire. Je déchargeais tout bêtement, le trop plein de force que je venais d’y placer. Le résultat par contre, ne faisait pas le bonheur de mon patient. Loin de m’encourager, il trouvait que ce que je lui faisais ne lui convenait pas. «Il ne sentait rien», disait-il d’un ton réprobateur ! Il lui fallait quelque chose de plus hard ! Calmement, je maintenais ma position, en précisant que si je persistais dans ma première démarche, il allait encore hurler de douleur.

    Le début de la séance avait été un «Avant-goût», de ce qu’il risquait d’éprouver si j’accentuais les effets positifs de mes impositions. Courageux, mais pas téméraire, il préférait tout de même se contenter de la seconde version, qui avait neutralisé les douleurs. Le pauvre ne savait plus où il en était. Bien que très déçu, il acceptait de me revoir.

    Je lui avais expliqué le pourquoi des douleurs, accentuées par l’excès de magnétisme, atténuées ensuite, par la suppression du trop-plein de magnétisme. Le moment le plus délicat pour moi a été de raisonner mon patient. Les neuroleptiques à haute dose annihilent le système nerveux ; le magnétisme à l’inverse, quant à lui, même à dose minimale, a pour mission d’ouvrir et de dynamiser tous les canaux, organes, appareils et fonctions nerveuses, obstrués, par l’action des neuroleptiques.

    La rivalité entre les drogues et le magnétisme ne pouvait que générer des troubles et les douleurs, tout à fait compréhensibles. Honnête avant tout, je lui conseillais de faire un choix, entre les cachets et le magnétisme. Les deux n’étant pas compatibles. Je ne m’étais jamais permis, et encore moins aujourd’hui, de demander la suspension ou l’arrêt, d’un traitement médical au bénéfice du magnétisme. Même si, concernant celui-ci, j’avais de bonnes raisons de croire que son toubib voulait en faire un légume !

    Naturellement, après trois séances, je préférais mettre un terme à mon action. Le pauvre était tellement dépendant de ses drogues, qu’il n’aurait jamais pu s’en passer. Je ne voyais vraiment pas comment je pouvais l’aider. Mon rôle n’était pas d’influencer qui que ce soit. Comme j’avais affaire à une personne adulte et responsable, après lui avoir exposé les dangers, elle était capable de choisir en son âme et conscience.

    Mes limites étaient atteintes. Avec fermeté, je m’opposais à ses désirs de renouveler les séances. Ce qui ne manquait pas de déclencher les hostilités avec ce patient, déçu de ne pas me voir coller à ses désirs. En même temps que je venais de franchir un pas de plus, sur l’apprentissage du magnétisme, je découvrais non moins stupéfait, les mentalités de certaines personnes.

    Les deux écoles allaient bien sûr de pair : celle de la vie, qui me conduirait sur la voie du magnétisme, et celle plus sournoise, qui devait me permettre de rencontrer ma réelle personnalité. Avec mon second patient, incapable de discerner le plus petit élément positif dans ma démarche, je découvrais les aspects primitifs des mentalités juvéniles. Je ne cédais pas à ses caprices ? Je devenais le roi des charlatans !

    Avec mes autres patients, dont celle atteinte d’allergies, j’avais découvert un autre volet. Pendant les séances, j’étais le sauveur, l’homme providentiel, celui qu’il fallait faire connaître à la terre entière. Durant le traitement, les promesses tous azimuts allaient bon train. En l’écoutant, je n’avais plus de soucis à me faire pour ma carrière.

    Elle se chargeait de me faire une «Publicité d’enfer» ! Sitôt terminé, que restait-il de cet excès d’enthousiasme ? Je la croisais dans la rue assez souvent, et elle ne me reconnaissait plus ! Fini, terminé, je n’existais plus ! Cela me faisait très mal, mais je devais comprendre et analyser de tels comportements. On se sert, on abuse, et... On rejette ! C’était très dur, mais indispensable. Avec elle et deux ou trois autres, de même acabit, j’apprenais qu’il ne fallait rien attendre de personne.

    Mon rôle était, et devait se cantonner, dans la seule amélioration de l’état physique de mes patients. Leur psychologie ou philosophie de la vie ne devaient en aucun cas me perturber. Ce fut à cette époque que je pris pour point de repère, l’image de starter sur une voiture. Il aide à démarrer, mais se moque bien de la suite des événements. Rester à ma place, voilà le maître mot de cet apprentissage. Lentement mais sûrement, je m’installais dans la peau de mon personnage. En même temps que j’avançais sur la voie du magnétisme, je peaufinais mes acquis sur les mentalités. Il était vital que je prenne du recul face à toutes les situations. Ce qui me permettait d’améliorer considérablement mes séances. Chaque mouvement, application ou imposition, produisait des réactions spécifiques en fonction des problèmes que je rencontrais.

    Analysant les effets obtenus, tant pendant les séances que dans les jours qui suivaient, j’élaborais une méthode de traitement, capable d’aider tous mes patients. Synthèse autant que symbiose, elle est toujours et plus que jamais, en vigueur aujourd’hui. Elle est basée sur l’équilibration de l’énergie vitale, la dynamique des organes et l’harmonisation du système nerveux.

    Je la pratiquais soit dans sa totalité ce qui demandait environ deux heures de travail, soit partiellement pour accentuer tel ou tel effet. Cette méthode une fois encore, n’est pas à considérer comme une thérapie standard. Elle tient compte de la force de mon magnétisme, de ma sensibilité, de mon ressenti, et de l’amour que je suis en mesure d’offrir à mes patients.

    Néanmoins, je la délivre ici, car elle témoigne du chemin que j’avais accompli, quatre ans après avoir découvert le Don que Le Tout-Puissant a eu la gentillesse de m’accorder. Ce qui signifie qu’en aucun cas, elle ne saurait servir de référence à qui que ce soit ; en dehors du simple témoignage. Je respecte les ouvrages traitant de la Polarité, autant que les écoles enseignant la pratique de cette méthode merveilleuse : «l’Équilibrage Énergétique Polarisant». Je ne dévoilerai pour cela, qu’une partie de ces gestes, que tout un chacun peut acquérir. À ce stade du récit et donc, de mon sacerdoce, elle n’était pas non plus aussi étoffée que ce qu’elle est devenue. Je l’améliorais au fil des jours, comme je le relate dans les explications sur quelques traitements, auxquels j’ai été soumis. Voici donc comment, je parviens aujourd’hui à neutraliser la plupart des blocages qui perturbent le fonctionnement énergétique et organique d’un sujet :

    Avant toute chose, je passe ma main droite au-dessus des Chakras et des organes principaux, pour déterminer leur potentiel énergétique. Si ma main me brûle, il y a excès ; si au contraire elle se glace, il se trouve une insuffisance. J’effectue en premier lieu, une ouverture aux plis de l’aine ; pour stimuler le système sanguin et lymphatique. Je fais ensuite la liaison entre les pouces des pieds (que j’enserre entre le pouce, l’index, et le majeur de ma main droite), et l’ombilic (sur lequel je place la paume de ma main gauche).

    Cette position a pour but de dynamiser les organes sexuels et ceux du bas-ventre. Je garde la position parfois plus d’un quart d’heure, jusqu’à ce que l’énergie débloque lesdits organes. Je remonte après la paume de ma main droite sur l’ombilic, et celle de ma main gauche à plat sur le front. J’effectue ainsi une sorte de huit, qui remonte l’énergie accumulée dans le centre énergétique du corps (nombril), jusqu’au centre nerveux incarné par l’hypophyse.

    La durée de ce mouvement dépend là encore, de l’aptitude du patient à gérer sa propre énergie vitale. Ces deux mouvements en effet, que j’ai baptisés «Pontages», stimulent la seule énergie du sujet. Mettant à profit ces ouvertures potentielles, j’effectue alors le berceau suivi de l’étirement polaire. Leur action sera d’autant plus bénéfique, que l’énergie du patient circulera plus librement grâce au travail précédent. À ce stade de la séance, en règle générale, l’action apaisante est fort bien ressentie par le malade. Je passe ensuite à la liaison immobile ou grande circulation énergétique : pied droit main gauche, puis main gauche pied droit. Là, le patient ressent presque toujours le courant vivifiant parcourir le chemin entre mes mains. Chaque étape élimine en partie les blocages, ce qui favorise le mouvement suivant.

    Cette liaison immobile va polariser l’énergie libérée précédemment. Je passe ensuite à mon action purement magnétique. Dès cet instant, j’apporte au sujet une énergie de substitution, incarnée par le magnétisme. Jusqu’ici en effet, je n’ai fait qu’activer l’énergie de mon patient, sans utiliser ma propre force.

    L’activation du premier Chakra, je la pratique en effectuant un autre pontage entre les pieds et le pubis : main droite sous les doigts du pied gauche et main gauche sur le pubis, puis l’inverse ; main gauche sous les doigts du pied droit, main droite sur le pubis. Ce mouvement, bien que partiellement erroné, est suffisant pour générer une dynamisation cohérente. Erroné, car si l’on respecte la morphologie du corps, le point central du Chakra racine est situé sur le plateau pelvien, entre la base du sexe et l’anus.

    Peut-être à tort, mais par respect pour mes patientes, je dynamise ce point uniquement dans des cas presque désespérés : constipation grave, absence totale de règles, ou mycoses vaginales, stérilité ou impuissance. Il suffit de se représenter la position, pour comprendre qu’il est difficile de ne pas passer pour un «Voyeur» quand ce n’est pas pour un «Obsédé». Car naturellement, ce travail ne peut pas s’effectuer à travers un vêtement. Je dynamise ensuite les ovaires : main gauche sur le droit et main droite sur l’ovaire gauche. Ceci pour activer l’énergie vitale (Kundalini), qui prend naissance dans les organes génitaux. Pour les hommes, là encore à cause d’un excès de moralité mal placé, je n’ai jamais effectué ce mouvement qui devrait se faire en empaumant les testicules.

    Poursuivant mon travail, après le 1er Chakra, je dynamise ou affaiblis, la vessie suivant qu’elle se trouve en excès ou en insuffisance au cours de mon repérage initial. Je dynamise ensuite le 2ème Chakra ou plexus ombilical. Ce Chakra, véritable régulateur, régente entre autres le transfert magnétique des aliments à l’organisme. Même en excès, jamais je ne l’affaiblis. S’il est beaucoup trop «Chargé», je le passe, sans autre.

    À mon avis, le vider de son trop-plein d’énergie équivaudrait à priver l’appareil digestif d’une partie de son potentiel. Car il faut savoir que ce Chakra peut à l’occasion, servir de réserve énergétique temporaire. Ce qui justifie souvent son excès épisodique. Je continue en magnétisant le pancréas. Organe fondamental par excellence dont la multiplicité des fonctions le place en permanence au centre de tous les déséquilibres : sécrétion de l’insuline, équilibre de la température du corps, prépondérance dans l’activité digestive dont il est le «Maître d’œuvre».

    Selon qu’il se trouve en excès ou en insuffisance, je le dynamise ou l’affaiblis. Ensuite, je procède à un travail identique sur la rate, dont le rôle est tout aussi capital dans l’équilibre du métabolisme : globules rouges, hormones, filtration, son activité est multiple et se trouve impliquée dans bien des désordres physiques. Viennent ensuite l’estomac et le foie. J’effectue, après ce «Tour d’horizon» organique, un travail important sur le 3ème Chakra : le Plexus solaire. Véritable chef d’orchestre, c’est lui qui organise le métabolisme et régente toutes les activités dont je viens de parler. Trait d’union entre l’énergie Cosmique et Tellurique (Yin et Yang), il coordonne les activités en agissant principalement sur l’équilibre énergétique des deux premiers Chakras. En règle générale, à ce niveau de la séance, le patient éprouve une sensation de mieux-être évidente. En même temps qu’il ressent une réelle fraîcheur, l’envahir.

    Je peux même dire qu’il a souvent très froid à cet instant précis. Ce qui témoigne de l’activité grandissante de son énergie vitale. Je poursuis en activant le Chakra du cœur ou Thymus, situé entre les deux seins sur le sternum. Activité cardio-vasculaire et renfort du système immunitaire, sont les fonctions principales de ce centre énergétique. Je l’affaiblis uniquement dans le cas d’hypertension artérielle.

    J’effectue ensuite le mouvement de polarité appelé recharge centrale, en appliquant la paume de ma main droite entre le sein et le sternum, et celle de la main gauche sur le front. Je stimule ainsi la circulation sanguine supérieure ; tout en renforçant naturellement, le système immunitaire. Le 5ème Chakra est à son tour activé. Du bout de mon majeur droit, je dynamise les points situés de part et d’autre de la pomme d’Adam. D’abord celui situé dans le creux sous celle-ci, qui intéresse les organes rattachés à la Thyroïde.

    En dernier, celui au-dessus, qui lui, correspond à la glande elle-même. Inéluctablement, ces points sont impliqués dans tous les phénomènes de dégénérescence énergétique. Véritable «Soupape» de l’énergie cosmique, la Thyroïde est à elle seule à l’origine de bien des troubles physiques : obésité et cellulite sont les tristes aveux de son dysfonctionnement. J’applique ces mouvements, pour les dérèglements les plus spectaculaires, que je rencontre au cours de mon travail. Il y en a une multitude d’autres c’est certain, mais qui sont du ressort de la médecine ; chacun son rôle ! Ensuite, un travail important s’effectue sur le 6ème Chakra, celui qui agit sur l’hypophyse donc le système nerveux réflexe.

    Les doigts de ma main droite réunis en faisceau, situés à un centimètre du Chakra, j’effectue une rotation lente dans le sens des aiguilles d’une montre. J’évite de le faire en cas de surcharge, mettant en évidence un excès de tensions nerveuses. Ce qui est rare, car, par expérience, je me suis rendu compte que même en cas d’excès énergétique sur le 6ème Chakra, en le dynamisant (modérément bien sûr), je parviens à équilibrer les tensions.

    Le sujet éprouve alors une relaxation totale et très souvent, s’abandonne à un relâchement le conduisant au sommeil. Je mets cet état de bien-être à profit pour activer le 7ème Chakra, et apporter à l’organisme un minimum d’énergie Yang. Pas trop, car le cosmique étant positif, risquerait de contrarier massivement l’effet relaxant et viendrait sans doute «Surexciter» le sujet. D’autant plus, qu’à ce stade de la séance, toutes les stations énergétiques et organiques se trouvent stabilisées.

    Le 7ème Chakra agit sur la glande pinéale et se trouve investi d’une mission de contrôle et de surveillance dans l’équilibre général. Il est superflu de lui ordonner un travail qui est déjà terminé ! Pour terminer ma séance, avant de procéder à quelques passes lentes à grand courant, je fais une liaison avec mes pouces entre la base de l’ombilic et le milieu du front. Au cours de cette dernière phase, la plus relaxante à mes yeux, le patient parvient assez souvent à visualiser des couleurs. En dehors des picotements, souvent aigus, le flot d’énergie se ressent d’une manière absolue. Détendu, le patient s’endort assez souvent...  

    La séance totale, tel que je viens de la décrire, dure en moyenne deux heures. Je l’ai améliorée au fur et à mesure que je progressais sur mon chemin de vie, avec mon magnétisme. Je me suis aperçu qu’en conjuguant les deux forces de vie, celle du patient et mon magnétisme, les résultats devenaient spectaculaires. Au moment où j’ai pris conscience de l’harmonie potentielle, obtenue grâce à cette mixité, mes séances d’équilibration n’étaient pas encore aussi étoffées.

    Je l’ai traduite entièrement, car il m’est très difficile à présent de dissocier un mouvement de cet ensemble. Je reviendrai, au gré de mon récit, sur quelques applications survolées actuellement, dans le seul but de ne pas me répéter. Pour revenir à mon histoire, et reprendre le fil du récit, nous revenons vers la mi quatre-vingt-dix.

    Je déplorais certes, une absence de patients, mais je regrettais bien plus encore, de rencontrer des personnes incapables de discerner le bien du mal. À ce sujet, j’ai eu en face de moi, l’exemple type de la personne suicidaire. Une jeune femme, atteinte d’une tumeur au sein. Elle avait déjà été opérée de l’autre sein, pour les mêmes raisons. Quand j’ai fait sa connaissance, l’évolution du cancer était à un stade assez avancé. Les ovaires, contaminés à plus de soixante-dix pour cent, attestaient de l’irréversibilité de la maladie. Je ne pouvais rien pour elle et lui faisais savoir fermement. Néanmoins, puisqu’elle souhaitait tout tenter pour alléger ses souffrances, j’acceptais de lui prodiguer quelques séances, au cabinet et en télépathie. Maîtrisant de mieux en mieux la gestuelle de la Polarité, je partageais mes séances entre les applications magnétiques et les mouvements de base de l’équilibrage énergétique : Berceau, étirement polaire, balancement du ventre, entre autres.

    La relaxation et la détente étaient totales. Dommage que ma patiente ne s’impliquait pas et devenait même un tantinet réfractaire à mes conseils. J’ai été choqué, pour ne pas dire indigné, de la volonté délibérée de cette personne, à ne pas accepter la médecine conventionnelle. La chimiothérapie aurait été complémentaire et largement plus performante que le magnétisme. Elle refusait catégoriquement, de même qu’elle ne voulait rien prendre comme médicaments.

    D’où, à mes yeux, l’aspect suicidaire. Elle ne mangeait presque pas et se contentait pour se sustenter, d’avaler des aliments et autres saletés, exclusivement végétaliennes. Ce n’était pas le plus grave. Après tout, chacun est libre de se nourrir comme bon lui semble. Téléguidée par une espèce de sorcière, qui se prétendait parapsychologue, elle n’avait des yeux et des oreilles que pour elle.

    C’était quand même à cause de cette thérapeute bidon que la patiente s’était inoculée le cancer ; grâce aux séances de «Régressions». Pour preuve, elle avait appris de la bouche de cette «Médium» miracle qu’elle avait été une fille de joie dans une vie antérieure. Elle en avait fait une fixation, au point de se culpabiliser ; la suite, je la comprenais mieux. Je n’étais pas là pour la juger et je me contentais de lui apporter tout l’amour dont elle avait besoin dans mes séances. Contre toute attente, au fil des jours, son état s’améliorait ostensiblement. Les spasmes douloureux s’estompaient, en fréquence et en intensité. Après une dizaine de séances, elle parvenait même à arrêter ses cachets pour dormir. Les crises étaient de plus en plus espacées. Je sentais que nous étions sur la bonne voie.

    Hélas, trois fois hélas, l’autre vipère déguisée en  fausse «Thérapeute» avait trop d’influence sur la malade. En était-elle amoureuse ? Souvent, je me suis posé cette question. Car, force était de constater qu’en dépit de cette progression notoire, ma patiente refusait toujours de mettre un terme à ses visites auprès du médium. Désireux de tout tenter, pour éventuellement endiguer l’évolution de la maladie, je décidais d’organiser une «Chaîne». En matière d’énergie, c’est le summum de l’efficacité.

    Je réunissais pour ce faire, plusieurs amies et amis de ma patiente, ainsi que d’autres thérapeutes. Unis autour du corps de la malade, nous étions solidaires dans le même élan d’amour. Pour éviter les erreurs, j’indiquais à tous les participants, une phrase simple que chacun devait répéter en silence dans sa tête au cours de la séance : «J’apporte avec mon amour, l’énergie qui va aider Stéphanie à guérir» ; Stéphanie étant un nom d’emprunt !

    Puis la chaîne s’est formée. Je me plaçais à la tête de la patiente. La personne située à ma droite a mis sa main gauche sur mon épaule droite et celle placée à ma gauche, a posé sa main droite sur mon épaule gauche. Ensuite, tous les maillons de la chaîne unissaient leurs mains et la concentration débutait. J’ai attendu quelques minutes, avant de commencer mes applications.

    Les ovaires, le pancréas, la rate, le foie, le sein infecté étaient à tour de rôle l’épicentre de mon travail. La séance a duré un peu moins de vingt minutes. Ce jour-là, quelques instants après la fin du traitement, Bibiche pouvait apercevoir pour la première fois mon aura, qui se profilait dans le halo de lumière en contre-jour.

    Quelques jours plus tard, sur les conseils pressants de son amie intime, la patiente acceptait d’aller passer une radio. Le miracle s’était produit. La tumeur du sein était enfermée dans une poche, sorte de bulle magnétique qui la rendait inopérante. La médecine bien entendu, préféra parler de succès, occultant le magnétisme. Loin de toute attente, la patiente se renfermait sur elle-même. L’influence néfaste de la sorcière, qui réfutait le résultat acquis, la poussait à décliner mes séances.

    Le comportement de Stéphanie à mon égard traduisait fortement le malaise qui la perturbait. Non contente de la conduire à petit feu vers l’issue fatale, la sorcière s’était arrangée pour me faire passer pour un sorcier, aux yeux de la malheureuse victime. Ce qui naturellement, l’avait conduite à prendre ses distances envers moi. Prétextant de soudaines envies de connaître autre chose, ma patiente écourtait, puis annulait ses rendez-vous. N’ayant pas l’habitude de m’imposer, jugeant que la situation était sans issue, je m’abstenais d’intervenir.

    J’en avais assez de passer des heures et des heures avec elle, en ayant le sentiment de ne servir à rien. Elle était majeure et vaccinée après tout ! Loin de m’offusquer ou de me sentir évincé, j’en éprouvais un total soulagement. Je prenais note de l’importance de ne pas vouloir changer les gens. Chacun est libre d’agir selon sa conscience, et non subir celle des autres. En dépit de l’insistance de Bibiche, je ne voulais pas influencer ma patiente. Je lui en expliquais clairement le pourquoi :

    — Mon rôle n’est pas de forcer la main à qui que ce soit. Je n’ai pas été choisi par Dieu, pour obliger les gens à se soustraire à leur propre conviction. Il leur appartient d’agir en fonction de leurs pulsions et non réagir en tenant compte des miennes. Depuis le début, nous sommes tous conscients que l’issue sera fatale. Si elle n’était pas sous l’emprise de cette espèce de sorcière, je crois que nous pourrions insister et qu’elle finirait par accepter la chimiothérapie. Elle refuse l’aide que je pense pouvoir lui apporter ? Très bien. Je n’ai pas à lui imposer mes séances. Cette femme s’est inoculée le cancer, en se culpabilisant sur un de ses passés antérieurs.

    Nous le savons tous. Elle en a pris conscience, en consultant abusivement cette pseudo «Spécialiste» des régressions de vies antérieures. Ce genre de fausse «Thérapie», exploitant la crédulité des gens, permet essentiellement à ces pseudo surdoués de se faire de l’argent au détriment de la santé. D’accord pour une meilleure connaissance de soi-même, indispensable et bénéfique (quoi que...), mais en présence de vrais professionnels, parapsychologues, psychologues, psychiatres mêmes pourquoi pas ?

    Non pas de charlatans investis par eux seuls d’un hypothétique et illusoire pouvoir surnaturel. Ils seraient plus crédibles et plus sollicités, si au lieu de chercher à se remplir les poches, ils savaient stopper à temps, leurs trompeuses et onéreuses «Investigations». Évitant ainsi de conduire leurs victimes, à petits pas, vers l’issue fatale.

    On traite facilement et de manière systématique, ou presque, les magnétiseurs de «Sorciers» ! Pourtant, la force et la présence du magnétisme peuvent se contrôler et se vérifier. Hélas, on ferme lâchement les yeux sur ces pratiques vraiment occultes et totalement inutiles, consistant à explorer le passé dans des conditions de sécurité précaires, voire inexistantes.

    Elle a fait son choix, ma chérie. Je n’ai pas le droit et encore moins le devoir, de chercher à l’influencer. Dieu a sans doute choisi et ni moi ni personne, ne doit s’y opposer. Nous avons tous notre Karma et le sien, la conduira là où elle doit se rendre... 

    Cette pauvre femme hélas, que Dieu la garde dans sa miséricorde, mourait quelques mois plus tard. Je me trouvais dans une période d’insécurité totale. Le choc occasionné par la disparition de cette jeune personne y était pour beaucoup. Je n’étais plus en harmonie, révolté contre celles et ceux qui, au nom de l’amour et du Souverain, s’adonnaient à des pratiques sectaires.

    En parlant de cela, nous prenions le temps Bibiche et moi, d’aborder le délicat problème des sectes. Car, depuis quatre mois bientôt que j’étais installé à ses côtés, nous avions eu souvent l’occasion de contrer certains esprits égarés. L’amalgame était vite fait. Comment en vouloir à ces personnes qui au demeurant, avaient perdu tous leurs repères ?

    Le dernier à parler avait raison. Cependant, en écoutant les nombreuses conversations relatives à l’ésotérisme, je déplorais les lacunes impressionnantes qui régnaient dans les esprits. Abusées, exploitées, ces personnes ne savaient plus où donner de la tête. Je bénissais d’autant plus ma Bibiche, de m’avoir permis de lever le voile sur l’argent vis-à-vis du magnétisme.

    Ce côté «Authentique», qui consistait à ne pas imposer de tarif, sécurisait les plus sceptiques. Quand elles m’ont avoué les prix demandés par certains thérapeutes, j’en avais les frissons dans le dos. Je comprenais mieux qu’elles aient pu être réservées et prudentes. Restait à mettre les choses au clair. Du magnétisme aux sectes, en passant par les groupes de prières, il n’y avait qu’un pas que les plus faibles avaient tendance à franchir trop rapidement. Quand une personne se trouve en état de doute, elle devient vulnérable. Aveuglément, elle est prête à suivre n’importe qui. Pour Bibiche elle-même, la confusion était totale. De l’amour à l’endoctrinement, il n’y avait bien qu’un maigre fossé, vite comblé par les habiles «Gourous».

    Très bien organisées, et protégées de surcroît, les sectes recrutent leurs futures «Proies», par tous les moyens. Comme tout un chacun, attentif aux moindres échos, je veillais au grain. J’essayais d’aborder ce délicat sujet, en évitant de me laisser emporter par mon courroux :

    — Mal dans ma peau, je souffre de me sentir aux yeux de certaines personnes, assimilé à cet ensemble d’inconscients. Il est clair que la plupart des gens qui viennent me voir le font très souvent après être passés entre leurs mains. Je ne veux pas discréditer, ni occulter, la valeur intrinsèque de certaines personnes, telle Maguy LEBRUN, qui sont pures et vraiment efficaces.

    Entre des mains comme celles de Maguy, ambassadrice authentique de notre Seigneur, les patients sont assurés de recouvrir leur énergie, de manière durable. Il y en a beaucoup d’autres encore, aussi honnêtes que Maguy, que je ne connais malheureusement pas. Ceux-là, on ne peut pas les découvrir par le biais d’une annonce publicitaire ! Discrets et efficaces, ils apportent leur amour et leurs compétences, aux personnes qu’ils reçoivent.

    Il en existe beaucoup plus c’est indiscutable, qui, à cause de leur propre ignorance, commettent des erreurs dramatiques. À l’instar de cette sorcière, qui a littéralement assassiné notre amie. Certains groupes, dits «De prières», qui dissimulent ignoblement leurs activités authentiques de sectes, sont avant tout une source intarissable et juteuse de richesse pour leurs organisateurs.

    Ils spéculent de façon immonde sur le dos de celles et ceux qui s’adonnent naïvement à leurs rituels. Beaucoup plus que l’art de mieux vivre, escompté par les victimes en puissance, ces groupes bidon, imposent leur génie abject et infâme à détruire l’humanité. Ils alimentent allègrement, et sans le moindre scrupule, leur source de fécondité dans le troupeau grandissant des exclus de la société.

    Tous celles et ceux qui, n’ayant plus la force de prendre en charge leurs problèmes, s’en remettent à ces escrocs notoires. Par faiblesse ou par ignorance, ils deviennent de véritables loques, entre les mains innommables de ces monstres déguisés en prêcheurs. Fiers de dépenser, pour commencer, cinq cents francs par week-end d’intoxication, où on leur enseigne le culte de l’autodestruction en guise de prières.

    Gavés d’une doctrine idéologique erronée, autant que dramatique, ils prônent «L’amour du prochain», une hache à la main. L’arme est symbolique bien entendu, mais l’image enracinée dans leur subconscient ne l’est pas. Cet amour-là, tel que leur rabâchent ces suppôts de Satan, doit passer par le sacrifice et l’élimination de tout ce qui représentent les déviations morales. Autrement dit, à part eux, il faut supprimer tout le reste. Progressivement, les «Moutons de Panurge» s’installent dans cette philosophie débile et peu à peu, à leur insu, deviennent les instruments de ces fossoyeurs de la race humaine. Un vicaine de temps en temps, puis deux, puis trois. L’escalade est irréversible. La société tout entière s’indigne et s’insurge contre de telles pratiques, mais qui, osera vraiment, affronter énergiquement les «Seigneurs et maîtres» tous puissants, qui servent avant tout, de couverture à tous les «Ripous» de la société ?

    Comment veux-tu que des gens, faibles et sans défense au demeurant, puissent s’affirmer face à des requins de cette espèce ? Nous avons suffisamment d’exemples autour de nous ma pauvre chérie ! Si les gens dans leur ensemble, étaient assez adultes, pour ne juger que par eux-mêmes, ils se feraient moins berner. Il suffit qu’un ou une tarée raconte n’importe quoi sur nous, pour qu’aussitôt, nos amis les plus proches nous tournent le dos ! «T’as vu untel ? Il paraît qu’il a fait ça» !

    La plupart des gens se contentent d’un seul son de cloche pour se forger une opinion. La jalousie, la méchanceté, suffisent pour crucifier un individu. C’est bien ce qui fait la force de ces fumiers de meneurs de sectes. Ils sont conscients de cette déchéance morale, engendrée par le refus de connaître la vérité au profit de l’apparence, pour conforter leur image de précurseurs d’une vie nouvelle.

    Un petit questionnaire bidon, sous forme de sondage. Voilà comment ils obtiennent ton adresse. Ils ont des antennes partout. Là, essentiellement, où la détresse morale est omniprésente. Tout ce qui touche à l’humanitaire, de près ou de loin, est un nid privilégié pour les gourous. Les sources sont intarissables.

    Plus les gens souffrent, plus ils recherchent une aide, n’importe où, n’importe comment, n’importe quand, auprès de n’importe qui. À force d’écouter tout le monde et d’avaler toutes les bêtises qu’on leur raconte, les faibles d’esprit sont prêts à suivre le premier «Guide spirituel» venu. Le jour où tout le monde réagira comme nous, face aux calomnies, l’humanité commencera à se réveiller.

    Cette «Léthargie» artificiellement créée rapporte trop d’argent. La drogue, la prostitution... et les sectes... servent à enrichir la plupart de ceux qui nous dirigent. L’argent mon pauvre trésor. L’argent et toujours l’argent. Plus tu es pourri, plus tu es corrompu, plus tu as des chances de faire ta place au soleil. Regarde tous les scandales. Politique, religion, sport. Tout est dominé et étouffé par l’argent !

    Je comprends mieux comment, des charlatans déguisés en magnétiseurs, réussissent à imposer facilement leur «Talent». Ils appartiennent sans doute à ce milieu délétère, et moyennant finance, doivent servir de fournisseurs aux fabricants des races prétendues supérieures. Autrement dit, il se pourrait bien qu’ils alimentent les caisses de façon déguisée, des dirigeants des sectes. Quoi de plus facile que de manipuler une personne, dès l’instant où elle affiche une faiblesse morale ?

    Les «Écoles de santé bidon», les «Astrologues véreux», j’en passe et des meilleures, viennent compléter j’en suis presque certain, le nombre de «Fournisseurs» pour les sectes. Plus tu patines dans la semoule, plus tu tournes en rond, et plus tu es vulnérable. Il n’y a pas longtemps que je suis ici ma chérie. Mais je sens qu’il va falloir que je m’accroche dur. À l’honneur et bien plus encore à la foi ! 

    Pendant près d’une semaine, je m’abstenais de tout contact avec mes patients. Je n’étais pas en harmonie, j’avais besoin de me remettre les idées au clair. Partout dans les médias, le mouvement sectaire était en verve et presque en vedette. Je me sentais impuissant, écœuré de ne rien pouvoir faire pour aider les gens, à réagir face à cette intoxication massive. La psychose est une gangrène dont nul ne peut contrôler l’évolution. En la matière, les médias sont les Rois pour provoquer ces mouvements de panique. J’avais mis à profit ce passage à vide, pour étudier encore plus sérieusement les mouvements préconisés en Polarité. Je sentais le besoin de renforcer mes séances de magnétisme. D’autant que les résultats que j’obtenais étaient très encourageants.

     *   *

    *

    Vendredi 31 août 1990. Le temps était exécrable. Sous une pluie torrentielle, qui mettait un terme à nos projets du lendemain concernant la décoration des voitures, nous devenions devant monsieur le maire de La Chaux-de-Fonds, en partie mari et femme. Peu importait la pluie. Le soleil illuminait nos cœurs, et réchauffait celui de nos Parents. Si le dicton «Mariage pluvieux, mariage heureux» était exact, nous pouvions bénir ce cadeau de Dieu. Ma petite «Moitié de femme» était rayonnante.

    Étincelante, merveilleuse, elle oubliait ses tracas. Plus rien ne comptait que notre amour mis au grand jour. Le soir, au cours du dîner avec la famille, les témoins et les proches amis, nous faisions nos premiers pas dans notre vie de couple officiel. Le rire, la bonne humeur, nous enveloppaient dans une aura de volupté.

    Les Parents entre eux devenaient des amis, qu’ils n’ont jamais cessé d’être depuis. Leurs «Petits» étaient heureux, ce qui les comblait. Que de larmes et de manifestations de joie ! Après le repas, nous devions respecter la tradition : enterrer le célibat. Pour rien au monde, nous n’aurions voulu échapper à cette charmante et incontournable «Épreuve» !

    Entourés de nos amis, nous terminions la soirée dans une discothèque. Dehors, il pouvait bien faire le temps qu’il voulait. Rien ne comptait plus que ces instants merveilleux. Seulement, voilà... Un verre, puis deux, et trois... Ça faisait pas mal de temps que je n’avais pas bu de la sorte. Cocktail après cocktail, je me laissais emporter par ce tourbillon vaporeux. Ivre, je l’étais beaucoup plus d’amour pour Bibiche naturellement. Je dois admettre humblement que ce soir-là, j’étais un peu… «Pompette» !

    Il faut reconnaître que ce mariage revêtait une double signification pour moi. Non seulement il effaçait une grosse partie de mes souffrances et de mes craintes passées, mais il m’offrait surtout, le bonheur absolu. Très tard dans la nuit, je dirais même très tôt, car il était six heures, nous reprenions le chemin de l’appartement des Parents de Bibiche. Jamais je n’oublierai cette petite anecdote.

    En entrant, sur la pointe des pieds... Ben oui, je faisais ce que je pouvais, quelle n’a pas été ma stupéfaction ? Ma belle-maman nous attendait dans la cuisine ! Inquiète, comme l’aurait été toute Maman digne de ce nom, elle n’avait pas encore fermé l’œil. Mon Dieu ! Je me sentais d’un coup honteux. Mon esprit s’éclaircissait aussitôt.

    Hélas, les effets pervers du trop-plein d’alcool, me transportaient aussi vite, dans une nébulosité absolue. Entre deux «Mises au point» visuelles, j’entrevoyais les visages radieux de ma Bibiche et de sa Maman. Il paraîtrait même, selon leurs dires, que j’étais plutôt marrant et «Craquant» ! En attendant, je ne me souviens que de quelques bribes de cette rencontre matinale... Et de ma gueule de bois quelques heures après !

    Après une nuit royale de sommeil... en gros trois heures plus tard... à mon réveil, Bibiche était déjà levée. En ouvrant un œil, j’ai été comme pris d’un malaise. Étais-je en train de rêver ou en proie à quelques hallucinations ? Bondissant, du mieux que j’ai pu d’accord... sur le lit, j’ouvrais aussitôt le second. Non, je ne délirais pas. En dépit d’une migraine colossale, je me précipitais à la fenêtre. Mon cœur s’est mis à chavirer. Dehors, il faisait un temps resplendissant !

    Jamais, je n’ai autant apprécié la douce complicité des rayons du soleil. Le ciel d’un azur merveilleux m’apportait la preuve que Dieu, voulait nous offrir une journée féerique. Immédiatement, je filais au salon, euphorique, rejoindre ma «Demi femme». Dans ses yeux, je pouvais lire une expression que je n’avais jamais décryptée jusqu’ici.

    Transcendée, elle me perçait le cœur de son regard fulgurant. Notre premier baiser, était à l’image de ce que nous éprouvions l’un et l’autre en ces instants divins. Après avoir avalé en quatrième vitesse mon petit déjeuner, je décidais de me mettre au travail.

    Le temps, devenu notre allié, allait nous permettre de respecter l’intégralité des projets en ce qui concernait le convoi de voitures. Je me sentais d’autant plus le cœur à l’ouvrage, qu’à la maison, les tensions commençaient à poindre à l’horizon. Qui, de la Maman ou de la fille, était la plus excitée ? Ne voulant pas jouer les arbitres, je préférais descendre. Laissant mon imagination guider mes mains, la voiture des Parents était la première à être métamorphosée.

      Depuis la cuisine à tour de rôle, Bibiche et sa maman jetaient un regard attendri sur la voiture. Entre deux moments d’euphorie, je prenais le temps de savourer ce qui m’arrivait. Ce bonheur me permettait de compléter l’épuration mentale, à laquelle je m’étais livré depuis plusieurs mois. Grâce à mes souffrances passées, mes unions détruites ou inachevées, je pouvais savourer le bonheur qui m’était offert.

    Je remerciais humblement tous celles et ceux qui, de près ou de loin, m’avaient permis de rendre un tel bien-être accessible. À l’abri des amis et des gens du quartier, qui étaient au courant de l’événement, l’auto prenait des allures de carrosse. Pour la circonstance, les chevaux-vapeur feraient très bien l’affaire. Composé de fleurs en papier crépon, un cœur énorme était dessiné sur le capot. Des guirlandes partout, jusque sur les enjoliveurs, la voiture était un véritable panier fleuri ; c’était la moindre des choses, pour transporter... la plus belle des roses !

    La cérémonie religieuse a été en tout point émouvante. Merci les Catholiques Chrétiens. Sans vous, à cause des ségrégations de l’Église romaine excluant les divorcés, jamais, Bibiche n’aurait eu le privilège de pleurer les larmes de son bonheur dans la maison de Dieu. L’après-midi s’annonçait sous les meilleurs auspices. Merci surtout à vous mes chers Parents, beaux-parents pour les susceptibles, de vous être donnés tout ce mal pour nous offrir une journée aussi fabuleuse.

    Car pour être réussie, la journée l’a été à tous niveaux. Quittant l’église, nous retrouvions quelque deux cents personnes pour l’apéritif. Les Parents de Bibiche... Nos Parents... se donnaient une peine inouïe pour nous combler sur tous les plans. Rien ne manquait à chaque étape de cette journée extraordinaire.

    Le soleil étant de la partie apportait une touche supplémentaire à un bonheur absolu. Cette fois, c’était bien vrai ; Bibiche devenait enfin madame NATTER ! Les deux familles n’en faisaient qu’une. Je ne pourrai jamais oublier les premiers gestes de ma Bibiche adorée, sitôt sortie de l’église. Congratulée comme il convenait, elle s’efforçait en parlant de passer ses doigts dans les cheveux. Non pas qu’elle ait attrapé des poux, Dieu merci.

    Elle était si fière de montrer à tout le monde, qu’elle était enfin devenue une «Madame», qu’elle exhibait son alliance avec un délice émouvant. Je la taquinais ni peu ni assez naturellement, à propos de ses chiques. L’ambiance, l’amour, la bonne humeur et la détente étaient au rendez-vous. Tous unis autour d’un maître mot : le BONHEUR ! Couronnant magistralement cet après-midi de liesse, nous nous retrouvions une bonne centaine autour d’un copieux dîner, digne des plus grands chefs d’État.

    Là encore, et je ne me lasserai jamais de le faire, merci Parents adorés. Même les mouches restaient collées au plafond pour se délecter de l’ambiance, qui se déroulait dans ce restaurant. Bref, une soirée inoubliable. À tel point, que lors de notre escapade vers deux heures du matin, nous avons été Bibiche... pardon... je veux dire Madame NATTER et moi-même... presque déçus !

    Nous avions tout prévu, pour accueillir comme il convenait, les plus fêtards des convives. L’ambiance était telle au restaurant, qu’il a même fallu que les patrons demandent une dérogation à la police pour rester ouverts après l’heure prévue. Ce qui revient à dire, que nous nous impatientions de notre côté, tandis que les amis attendus continuaient de s’éclater au restaurant.

    La fatigue aidant nous nous étions résignés à dormir, pensant que l’on nous avait oubliés. Ce qui était de bon augure et en aucune façon, ne nous a perturbés outre mesure. Quelle n’a pas été notre surprise, vers quatre heures du matin, d’être réveillés par les joyeux lurons en question ? Les traces du premier sommeil nous conféraient des visages pour les moins bizarres. Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’hilarité générale, et engendrer une fin de soirée digne des plus belles romances d’amour.

    Ponctuant cette semaine riche en événements tous plus intenses les uns que les autres, il manquait une petite note d’humour, émanant du Tout-Puissant. Respectant les vœux de Bibiche, elle n’avait rien eu en ce qui concernait ses grosseurs sur le visage ; pas plus qu’elle n’avait souffert d’un moindre kyste. Le mariage s’était déroulé comme elle le souhaitait. Nous devions rentrer chez nous le lundi. Le dimanche, était donc celui des adieux à la famille.

    Nous avons pris un dernier déjeuner en commun, dans un autre restaurant. Là encore, le soleil étant de la partie, nous avons passé une journée idyllique. Le soir, chez nos Parents, nous étions tous très fatigués. Nous faisions, avec ma petite femme, l’inventaire de ce qui allait rester chez eux. Les tables étaient jonchées de corbeilles, gerbes ou plantes vertes. Sans parler des paquets cadeaux, que nous commencions à déballer. Les autres étant restés à la maison ou nous parviendraient dans la semaine.

    Petite fausse note quand même, à ce qui aurait été sans cela une réussite absolue et géniale. Une des collègues de travail de Bibiche avait voulu filmer le mariage. En visionnant la cassette, de ce que nous espérions tous comme un souvenir immortel, nous avons été déçus à en pleurer. Non seulement, la preneuse d’images n’avait aucun don pour la prise de vue, mais le plus grave, était qu’elle avait filmé en tremblant comme une feuille morte.

    Avait-elle la maladie de Parkinson ? Avait-elle bu plus que de raison ? Au-delà des boutades, avec lesquelles j’essayais de dédramatiser la situation, restait que le film de notre mariage était un fiasco total. Ce n’était rien, par rapport à ce que Dieu avait réservé à ma tendre épouse. Car dès son réveil le lundi matin, elle pouvait mesurer l’étendue de la puissance du Créateur ; autant que son humour !

    Préservée, selon ses désirs et ses craintes surtout, pour les cérémonies, ce jour-là, Il n’avait pas loupé ma pauvre Bibiche ! Sur le moment, quand je m’étais réveillé, en voyant son visage j’ai eu du mal à réaliser ce qui se passait. Ce n’était plus une chique... Mais carrément la joue gonflée aux hormones ! Elle était tellement enflée, qu’elle a eu du mal à ouvrir son œil gauche.

    Ce fut plus fort que moi. Je ne pus contenir un fou rire monstre. Ce qui naturellement, la réveillait aussitôt. Inutile de dire qu’en se voyant dans la glace de l’armoire, elle a poussé un hurlement d’affolement. Le plus ignoble, c’était que je n’arrivais pas à retrouver mon sérieux. Je riais tellement, que j’en pleurais. Je n’étais pas le seul, ce qui m’enlevait tout sentiment de culpabilité. Car les Parents eux aussi, en voyant ma princesse dans cet accoutrement, n’ont pu contenir un moment d’euphorie. Bonne joueuse, ma dulcinée s’est mise à rire à son tour. Après quoi, je lui expliquais le pourquoi de cette boursouflure disgracieuse. Je n’ai pas eu besoin d’insister plus que de raison. Elle avait déjà sa petite idée sur le sujet. Dieu en effet, tenait à se manifester à sa manière.

    Malgré sa foi très pure, Bibiche avait plus ou moins douté de Lui. Elle redoutait d’être défigurée le jour du mariage ? Elle manifestait donc, inconsciemment, un manque de confiance envers Le Tout-Puissant. D’où la réponse assez dure tout de même. La douleur n’était pas au rendez-vous, ce qui limitait les effets dramatiques. Ma pauvre Bibiche était suffisamment punie comme cela de sa défiance envers Dieu. Heureusement, nous avions encore une semaine de vacances. Sitôt après le petit déjeuner, et après le déjeuner avant de repartir pour notre grand nid, je lui faisais plusieurs séances intenses de magnétisme. En quelques heures, la déformation était réduite à plus de la moitié. Au cours de ces séances, je pouvais lire dans son regard, l’étendue de son admiration.

    Non seulement elle se sentait adorée, mais de plus, elle se sentait protégée. Le magnétisme que je lui ai apporté, durant ces derniers instants avant le départ, était revêtu de ses plus beaux atours dans son cœur. Je prenais acte de l’importance primordiale du lâcher prise, tel que nous allions le découvrir quelques années plus tard.

    Le cœur emplit d’émotion et de souvenirs, tous plus beaux les uns que les autres, nous quittions à regret nos Parents. Madame NATTER allait nettement mieux. Durant le trajet, je ne pouvais m’empêcher de la taquiner. La leçon était assez cuisante comme cela, sans en rajouter inutilement. Elle aimait, et aime toujours Dieu merci, plaisanter. Je sentais que mes sarcasmes n’étaient pas du meilleur effet. Aussi, terminions-nous le parcours sur une note résolument plus optimiste, puisqu’elle intéressait nos projets d’avenir. Il nous tardait d’arriver. La Golf ressemblait à une caravane. Il m’était impossible de voir la route depuis le rétroviseur intérieur, tellement la voiture était bondée de paquets et de fleurs. Nous n’avions même pas pu trouver une place, pour mettre les provisions que Maman nous avait réservées. De souvenirs en anecdotes, les kilomètres s’amenuisaient.

    Comme au premier jour de mon arrivée dans le grand nid, le paysage défilait autour de nous avec un enchantement sans cesse renouvelé. Pourtant, personne n’en avait modifié ni la structure ni le décor ! Bibiche découvrait à son tour, les bienfaits du bonheur et de son impact sur l’environnement quotidien. Tout se métamorphosait à ses yeux. Petit trésor adoré... Que ces minutes à tes côtés étaient pour moi en ces instants, plus douces encore qu’elles ne l’avaient jamais été auparavant ! Ses yeux scintillaient tels des saphirs. Elle découvrait tout, s’émerveillait telle une enfant.

    Pure, limpide, authentique et divine, voilà la femme que je venais d’épouser. Promenant son regard entre la nature et moi, elle ne trouvait plus les mots pour traduire son bonheur. La seule chose qui revenait souvent, était de plaindre celles et ceux, qui n’avaient pas connu de tels moments.

    À peine installée dans sa nouvelle peau de femme mariée, voilà qu’elle s’apitoyait sincèrement, sur le sort de ces malheureux. Que pouvais-je faire d’autre, que laisser couler les larmes de l’intense bonheur qui me brûlait dans le corps ? Adorable chérie, qui n’hésitait pas à me montrer tel ou tel lieu, de sa main gauche, pour mieux faire briller l’éclat de cet anneau d’or qu’elle portait avec une telle grâce.

    Quelques heures plus tard, après que tous les paquets eurent été débarrassés de leurs emballages, nous commencions le rangement. Il y en avait partout ! Sur les tables, les buffets, les chaises. La vaisselle, les ustensiles, bibelots, une quantité impressionnante de cadeaux, jonchait le mobilier du grand nid. Une question se posait très vite ; aurions-nous la place de tout ranger ?

    Avec ce que Bibiche possédait déjà, ce que j’avais amené, plus ce que nous avions acheté ensemble, cela faisait beaucoup d’ustensiles ! Ajoutons les fleurs et les plantes, pour comprendre qu’il nous était difficile de faire un pas, sans risquer d’écraser quelque chose. Envoûtés par le charme de notre union reconnue, nous le prenions à la plaisanterie. Il était indispensable de réfléchir avant de s’emballer. Comment, mieux qu’en dégustant une coupe de champagne, pouvions nous trouver les solutions qui s’imposaient ? Calmement, sans nous énerver, nous logions les nouveaux arrivants aux côtés des anciens locataires. Bibiche en profitait pour faire un brin de ménage et procédait à quelques éliminations. Beaucoup d’objets se trouvaient en double, quand ce n’était pas en triple.

    N’étant pas attachée aux valeurs des choses, elle n’hésitait pas à se séparer de ce qui lui appartenait, pour le remplacer par ce qui venait de nous être offert. En moins d’une demi-heure, une grosse partie des cadeaux était intégrée dans son nouvel environnement. Nous étions étonnés, de constater à quel point tout pouvait être rangé. Parmi les présents, plusieurs vases étaient très appréciés. Grâce à eux, les gerbes trouvaient très vite un emplacement de choix.

    Au fur et à mesure que nous progressions dans l’aménagement, l’appartement se métamorphosait. Tout, du plus gros au plus petit don, s’intégrait parfaitement. L’harmonie était au rendez-vous. À croire que les personnes qui nous avaient offert tout ça avaient choisi en fonction du grand nid. Les formes, les couleurs, autant que l’utilité, tout s’intégrait rapidement, ce qui ne nous échappait pas. Le hasard n’y était pour rien, Bibiche et moi en étions convaincus. «Quelqu’un», s’était arrangé pour faire en sorte que l’homogénéité et le confort de notre bien-être soient préservés. Avions-nous réellement besoin de ce signe ? Sincèrement non. Ce n’était qu’un prétexte pour mieux nous rapprocher du Tout-Puissant, et lui rendre l’hommage qui lui était dû pour nous offrir un tel bonheur.

    En dépit de sa chique, qui était encore très prononcée, Bibiche se perdait en prières de vénération. Elle était réellement impressionnée par la leçon, que Dieu venait de lui infliger. Ce qui la rassurait tout de même, c’était de savoir que grâce au magnétisme, plus rien ne paraîtrait dans les jours qui suivaient. Ce fut pour ces raisons sans aucun doute, qu’elle passait beaucoup de temps à prier pour remercier, mais aussi demander pardon au Tout-Puissant.

    Ses regards étaient de véritables rayons lasers. Chaque fois que je me perdais dans la pureté de ses yeux, je chancelais. À force de sourires, de mots doux, de frôlements tout aussi provocateurs, nous nous laissions emporter par les braises du désir. Après tout, ce qui n’était pas encore fait serait fait... plus tard ! Groggy, ivres d’amour et de bonheur, grisés par tant de souvenirs merveilleux, nous abandonnions le présent et ses contraintes, pour partir à l’assaut d’instants romantiques et sensuels.

     *   *

    *

    QUATRIÈME CHAPITRE

     «Dernière ligne droite» 

    Après sa première matinée de travail, comme elle le faisait chaque jour avant notre voyage, Bibiche me lançait un coup de téléphone. Sur le moment, j’ai eu comme un doute. Tout dans sa voix laissait imaginer le pire. La reprise s’était effectuée avec beaucoup de difficultés. Vraisemblablement, elle était exténuée.

    Gaie, comique même durant de si longs mois depuis notre rencontre, elle me déconcertait. Je redoutais le pire, car je la sentais effondrée. C’était pour moi, après avoir raccroché, le début de mon calvaire.

    Tout me passait par la tête. Ses malaises répétés tout au long de l’année, les poussées de fièvre, les réflexions des voisins, les tensions au bureau comme au magasin... Le plus dur, aura été d’éluder avec conviction et une certaine fermeté, les craintes concernant notre couple.

    Rien ne justifiait son état pour le moins apathique. Encore moins les poussées de fièvre ni les chutes énergétiques. Il aurait été plus que probable qu’elle ait pu songer à une séparation ? Plus les minutes s’écoulaient, plus je me focalisais sur cette hypothèse. Durant plusieurs heures, avant de manger du bout des lèvres, je ruminais les pires scénarios. Je ne pouvais pas concevoir cependant que Bibiche ait pu me trahir. Quand je délirais ainsi, je me giflais pour revenir à la raison. Si elle était à ce point hypocrite et perverse, alors là, je voulais bien revêtir la soutane de curé. Je pouvais bien me laisser enivrer par les romances de mon imagination, mais jamais, je n’ai douté de Bibiche. J’étais certain au contraire qu’elle cachait en vérité un état beaucoup plus dépressif.

    Je me sentais impuissant, incapable de faire le moindre geste. J’avais envie de tout casser, de tout briser. Dieu m’imposait la sagesse et la pondération. Et si elle me cachait une autre vérité, plus insidieuse et dramatique ? C’est vrai, je l’avais rarement accompagnée pour ses examens médicaux, me contentant de lui faire confiance. Si, par malheur, elle était gravement malade au point de me dissimuler la vérité ?

    Avec l’opération qu’elle avait subie, et la précarité presque quotidienne de son tonus, je réalisais soudain que cette hypothèse était de loin la plus crédible. Mon sang ne fit qu’un tour. Le fait qu’elle refusait que j’aille la chercher à midi augmentait mes craintes à ce sujet.

    J’hésitais un moment, décrochais le combiné, puis reposais le téléphone sans avoir le courage d’appeler Bibiche. Je faisais les cent pas entre la cuisine et le vestibule. La table, que j’avais dressée pour deux depuis tôt le matin, paraissait me narguer. Insolent objet, qui ne comprenait pas l’étendue de mon désarroi.

    À son habitude, elle avait mijoté un divin petit repas, comme elle les mitonnait si bien depuis bientôt deux ans. Ce qui était habituellement un instant privilégié se métamorphosait soudain en moment de tristesse et de solitude. Pourquoi serait-elle absente aujourd’hui ? J’avais beau me poser cette question des dizaines et des centaines de fois, je n’entrevoyais pas la lueur d’une compréhension. Après mon déjeuner, je décidais de m’installer derrière mon ordinateur. Il me fallait à tout prix recouvrer ma sérénité et mon calme. Heureusement que nous avions acheté quelques cartouches de cigarettes ! Car depuis le matin, j’en étais à mon deuxième paquet. Je n’avais aucune envie d’écrire, mais je me forçais tout de même, pour échapper à mes tourments. Je restais dix minutes assis, modifiant sans cesse le déroulement de mon scénario.

    Je me rendais vite compte que mes personnages, étaient en train de suivre mon humeur noire. Doux et affables dans la version initiale, ils devenaient agressifs et vindicatifs au fur et à mesure, que je m’imposais ces minutes d’écriture. Heureusement que j’en ai pris conscience rapidement. Ce qui m’évitait de dénaturer l’histoire. Mais avait-elle un sens à présent ? Je me posais cette question, plus pour justifier mon déséquilibre moral, que par souci d’éthique véritable. En attendant, j’effaçais sans regret les quelques pages que je venais d’écrire.

    Je délaissais mon roman, pour aller quelques instants sur le balcon prendre l’air. J’étais KO debout. Je déambulais d’un point à l’autre de l’appartement, sans pouvoir ne fixer mon attention sur rien. À chaque passage devant le bar, je remplissais mon verre de cognac. Combien en avais-je bu ? Soudain, je réalisais que j’étais en train de glisser sur la mauvaise pente. En effet, en me servant un autre verre de digestif, je prenais conscience de la gravité de la situation.

    Les cigarettes passaient encore. L’alcool, là, je ne devais pas me hasarder sur ce chemin boueux. Puisque je ne parvenais pas à trouver l’inspiration dans mon roman, il me fallait fixer mon attention sur autre chose. Car au rythme où j’y allais, j’allais prendre une belle cuite ! Ce n’était pas le moment. Mon instinct me poussait à chercher quelque chose dans l’appartement. Quoi ? Pourquoi subitement, cette envie d’inquisition ? Je n’avais jamais fouiné dans les tiroirs, où étaient rangés tous les documents du ménage. Je n’y découvrais rien, qui aurait pu être susceptible d’éclairer ma lanterne. Dans la chambre alors ? Rien dans l’armoire, rien dans sa table de nuit... Dans la mienne peut-être ? Le vide le plus complet. Je commençais à reprendre espoir, conscient que mon imagination me conduisait bien trop loin.

    Soudain, en arrivant à hauteur du téléphone, mon attention fut attirée par une enveloppe, glissée sous le répondeur. J’avais téléphoné deux ou trois fois, sans même la voir. Le doute n’était pas permis, elle dépassait suffisamment l’appareil pour y avoir été déposée, dans l’intention d’être aperçue. Mon sang ne fit qu’un tour. J’ai été contraint de m’asseoir sur le canapé pour reprendre mon souffle.

    J’avais dans les mains une enveloppe, sur laquelle mon prénom était inscrit. Pas le moindre mot tendre ne l’accompagnait. Bibiche m’avait tellement habitué à lire ses billets doux, qu’elle me laissait sur la table en partant le matin, que la vue de mon seul prénom me perforait le cœur.

    Me ressaisissant, je prenais le courage d’ouvrir cette maudite enveloppe d’une main tremblante. À l’intérieur une page manuscrite. L’écriture était horrible. J’avais du mal à lire. En fermant les yeux quelques secondes, il me semblait entendre Bibiche. Je la voyais en train de me crier, des mots que je ne parvenais pas à entendre. Ces mêmes mots, allais-je les découvrir sur cette feuille ? Mes yeux se gonflaient de larmes, avant même d’avoir parcouru cette missive dramatique.

    Je restais quelques minutes, déversant le trop-plein de mon émotion. Était-ce la lettre de rupture que je redoutais depuis le matin ? Courage. Je devais impérativement surmonter ma peine, et découvrir enfin, la clef de cette énigme cruelle. Je me servais un autre bon verre de cognac. Après avoir allumé une énième cigarette, je prenais mon courage à deux mains et décryptais ce hiéroglyphe :

    Mon amour,

    Pourquoi tant de mystères ? Je savais en écrivant ces mots que jamais je n’aurais le courage de t’avouer ce qui depuis plus d’un an me déchire le cœur. J’étais persuadée que tôt ou tard, tu allais découvrir la vérité, ce qui me paralysait. Après bien des hésitations, j’en suis parvenue à la solution extrême: quitter mon emploi.

    J’ai pris rendez-vous avec mon patron, qui savait que depuis plusieurs mois je n’étais pas au mieux de ma condition. Quand je lui ai communiqué les rapports médicaux, il n’a eu aucun mal à satisfaire à ma demande. Il voulait me donner un congé sans solde de six mois, mais je n’ai pas accepté. C’est le seul point qui soit positif pour moi. Je trouverai sans mal un poste équivalent.

    Car tu le sais, pour l’avoir compris, l’ambiance au bureau était devenue infecte, à un point qu’il est impossible d’imaginer. En quelques mots, pour en résumer l’ampleur, ma «Chère subalterne», depuis notre mariage, imitait ma signature sur l’un des comptes clients que je gérais, pour détourner l’argent à son profit.

    Tout ça, dans le seul but de me nuire et me faire perdre mon honneur en plus de mon emploi. Sans l’aide avisée d’un ami avocat, qui a découvert l’odieuse machination, j’aurais sans doute été condamnée. Le choc a été d’une telle violence, qu’il a été le point de départ de mes ennuis de santé.

    Je ne serai pas là, quand tu apprendras cette terrible nouvelle, tel que je la redoute depuis notre départ à Dakar. Voilà pourquoi je n’étais pas au mieux de ma forme durant ce séjour, pourtant idyllique en tout point. Les derniers examens au mois de juin laissaient supposer le pire.

    Depuis le début de cette année 91, je suis dans le doute. Aucun médecin ne veut infirmer ni confirmer la gravité de ma maladie. Toujours est-il qu’aujourd’hui, je vais être fixée une fois pour toutes. J’ai rendez-vous à 12 h 30 à l’hôpital, pour savoir si oui ou non les grosseurs qu’ils m’ont enlevées en 1989 étaient cancéreuses ou pas.

    Pour être sûr de ne pas établir de mauvais diagnostics, juste avant de partir à Dakar j’ai subi des prélèvements. Les biopsies prévues ont été faites et j’aurai les résultats aujourd’hui. Je te demande pardon, mon doux amour, de n’avoir pas eu le courage de te parler franchement et te faire part de mes inquiétudes. Je ne peux que rendre hommage au dévouement avec lequel tu t’es dépensé pour me maintenir à flot. J’espère que Dieu dans sa miséricorde, nous épargnera une fin aussi tragique. Car si ce n’est pas pour moi, c’est pour toi que je pleure en imaginant le pire.

    Certes, le cancer n’est plus aussi redoutable que par le passé. Hélas, il occasionne encore trop de décès et c’est en tremblant face à cette éventualité que je me dois de t’informer. Je te demande encore mille fois pardon pour ce manque de courage.

    J’étais perdue dans ton regard, noyée dans ce torrent de bonheur dans lequel tu m’as plongée depuis le premier jour. Je ne me sentais pas la force de briser une telle aura de douceur et de tendresse. La seule chose dont tu puisses être certain, c’est que je t’aime et t’adores comme jamais je n’ai eu avant toi, l’occasion de l’apprécier.

    Je t’embrasse très fort... Ton Petit Bouchon adoré...

    J’ai dû lire et relire une bonne dizaine de fois cette lettre explosive et pathétique. Les yeux brouillés par un torrent de larmes, je déversais sans le réaliser, toutes les réserves lacrymales de mon corps. La solution m’était apportée, cinglante et cruelle.

    Loin d’avoir envie de tout casser, j’étais sonné, effondré. À cet instant précis, je revivais les images de Bibiche, quelques heures avant le départ à l’aéroport, et tout au long de notre séjour. Dire que j’avais osé à certains moments, croire à de la supercherie de sa part!

    Je me sentais encore plus sale et dépouillé de mon honneur. Qu’allait-elle devenir ? Pour qu’elle parle de cancer dans sa lettre, il fallait que les doutes à son sujet soient évidents. Je n’avais qu’une obsession, la santé de Bibiche. J’étais tellement crispé et tendu, qu’en serrant les poings, je m’enfonçais les ongles dans les paumes des mains. J’essayais tant bien que mal de retrouver mon calme. Bibiche avait plus que jamais besoin de moi.

    L’épreuve que Dieu nous imposait était de taille, mais indispensable. Elle était cuisante, mais bénéfique, puisqu’elle nous confortait dans notre amour. Loin de me laisser aller au pessimisme, j’essayais de puiser entre les lignes tout l’espoir qui en émanait : «Je trouverai facilement un emploi équivalent... J’espère que Dieu nous préservera»... Avec une maladie comme le cancer, le moral contribue à plus de quatre-vingts pour cent à la guérison.

    Le fait de manifester, même inconsciemment, le moral et l’envie de vaincre était suffisant à mes yeux pour m’accrocher à cet espoir. Le magnétisme que j’avais apporté à mon petit bouchon, et je m’en réjouissais, avait dû pour sa part enrayer l’évolution de la maladie, comme il l’avait fait avec notre amie en 1990. Je n’étais pas un fervent adepte des prières, mais ce jour-là, je suppliais Le Tout-Puissant de toutes mes forces. Il nous avait ouvert la voie royale du bonheur, que nous n’avions jamais quittée. Seul un amour puissant et authentique pouvait nous sauver et nous sortir de ce mauvais pas. Abandonner mon trésor de femme ? À quelle heure ! Je l’avoue humblement, je mourais d’envie d’aller à son bureau, pour régler mes comptes. À quoi cela aurait-il servi ?

    Quelques heures plus tard, tout rentrait dans l’ordre. De retour à la maison, Bibiche était enfin sortie de son ghetto moral et du labyrinthe médical. Soulagée, délestée de ce fardeau de la crainte et de la peur, elle retrouvait le jour même, un tonus extraordinaire. Fière, elle brandissait, en arrivant à la maison, le compte rendu des médecins. Les analyses étaient négatives. Pas la moindre trace de tumeur cancéreuse. Pour enrayer définitivement les dernières infections urinaires, à titre préventif plus que curatif d’ailleurs, le professeur lui avait conseillé de prendre des antibiotiques pendant une quinzaine de jours. Je n’étais pas enchanté, mais je sentais que la stabilité du moral de Bibiche en dépendait. Le soir, après le dîner, elle éprouvait un besoin évident de se confier, parler, se libérer du poids qui l’oppressait.

    Elle se sentait coupable à un niveau encore jamais atteint jusque-là. Coupable, d’avoir en quelque sorte triché en taisant la vérité. Coupable, de n’avoir pas su trouver en moi le complice, l’allié, le confident, qu’elle pensait avoir rencontré. Coupable, par-dessus tout, d’avoir inconsidérément donné sa démission. Elle m’a expliqué en long et en large, pourquoi elle en était arrivée là. Elle était burinée moralement par cette maladie lancinante et insidieuse.

    Mais elle l’était bien davantage, en pensant à ce que par vice, des personnes fussent capables de faire. Fatiguée d’avoir à lutter tous les jours contre les mesquineries au bureau, déchirée de se sentir seule pour affronter son calvaire. Elle s’était laissée aller à un acte irréfléchi. Elle s’en mordait les doigts et ne savait plus comment faire, pour se faire pardonner. Loin de la blâmer, je lui interdisais de reprendre contact avec son patron, pour revenir sur sa décision. Pour éliminer les dernières traces de culpabilité dans son esprit, je lui faisais part de tout ce que j’avais enduré en silence.

    Les coups de téléphone et les lettres anonymes... Les réflexions de mes patientes «Parachutées»... Sans haine ni courroux, j’étalais devant elle le tapis poussiéreux sur lequel, les détracteurs s’essuyaient les pieds. Qui s’était juré de détruire notre couple et pourquoi ? Je ne voulais pas en savoir davantage. Si Dieu avait permis qu’elle se délivre des griffes de ses ennemis sournois, ce n’était pas sans raison.

    L’avenir était devant nous et non derrière. Lentement, je l’ai sortie de son marasme, en lui demandant simplement d’oublier. Nous étions en train de tourner une page du livre de notre vie. Certes, en tenant compte de ce brusque changement de situation, sur le plan financier, nous devions être vigilants.

    Notre amour n’était-il pas plus important que tout l’or du monde ? Jamais, contrairement aux inepties élaborées par certains, l’argent n’avait fait le bonheur de personne. Il y contribuait sans doute, mais en aucun cas, il ne pouvait se substituer aux valeurs fondamentales auxquelles nous étions fortement attachés. Pour l’argent, certains requins étaient prêts à tout, n’hésitant pas à tuer père et mère. Ils n’avaient pas compris, et ne le comprendront sans doute jamais, que sans la moindre notion d’amour, l’argent ne possède aucune valeur intrinsèque.

    Tout travail mérite salaire, nul ne peut ni ne doit le contester. Que certains gagnassent plus que d’autres, c’était encore acceptable ; si cela était justifié bien sûr. Que pour l’argent, des êtres humains se croient supérieurs et écrasent celles et ceux qui le leur font gagner, là, je ne suis pas du tout d’accord ! L’argent se doit de rester un trait d’union. Une sorte d’outil de communication, voire de troc, entre les personnes ; tu me donnes ceci, et en échange je te donne l’équivalent en monnaie.

    Ce principe, je l’ai acquis grâce à mon magnétisme. Aujourd’hui, il est encore plus présent dans mon esprit. Quant à ceux qui passent leur temps à spéculer, critiquer, je ne peux que formuler, à leur endroit, un vœu d’amour et de pardon. En leur rappelant que c’est dans l’épreuve et la souffrance, et uniquement grâce à elles, que les valeurs humaines parviennent à leur apogée. Non dans l’opulence et l’apparence d’une pseudo notoriété.

    Nul ne peut présager de rien. S’il est facile de montrer du doigt et mépriser au lieu d’aimer, il est plus dur d’assumer une vie heureuse et sincère. Comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, peut-être est-il encore temps de modifier certains de ces fâcheux comportements, qui avilissent l’être humain, plus qu’ils ne le valorisent ? Il n’y a que les sots qui n’évoluent pas n’est-ce pas ?

    Amaigrie, affaiblie, mais heureuse, Bibiche avait besoin de se refaire une santé. Puisqu’elle était au chômage, elle avait bien droit à quelques jours de repos amplement mérités. Ce n’était pas de gaieté de cœur, mais je devais faire abstraction de mon confort personnel à son profit.

    Où, mieux que chez ses Parents, pourrait-elle éliminer les traces de cette angoisse ? Une semaine, quinze jours ou plus, peu m’importait. Je savais que ce serait dur, séparé d’elle, mais ce n’était pas en tournant en rond dans la maison sans sortir qu’elle aurait pu recouvrer une meilleure santé. Car depuis son retour, elle ne voulait plus voir personne et encore moins aller se balader. Je ne m’en plaignais pas bien au contraire, moi qui étais plutôt du genre casanier. Elle avait pris tout le monde en grippe. Ses collègues de travail, nos voisins, le peu d’amis qui nous restait. Elle en voulait à la terre entière. Le contrecoup nerveux ne faisait aucun doute. Le phénomène de rejet sur les autres était naturel. Honteuse et coupable, elle cherchait à rejeter sur autrui la responsabilité de sa fuite en avant.

    J’avais beau essayer de lui faire admettre que le fait de ne plus avoir d’emploi momentanément ne changeait rien, elle persistait dans son mutisme. Je sentais bien que cette plaie béante serait difficilement refermée. Je faisais du mieux que je pouvais, mais ne parvenais pas à endiguer cette hémorragie morale, qui la clouait du matin au soir dans une léthargie totale.

    Je reprenais doucement mes séances avec mes patients, conscient avant toute chose que je ne devais pas oublier ma mission. L’avenir était devant nous et non derrière. Quelles seraient les autres épreuves à traverser ? Dans quelle direction Le Tout-Puissant nous emmènerait-il ? Les restrictions auxquelles nous devions désormais nous astreindre permettaient à Bibiche de prendre enfin de bonnes résolutions envers l’argent. Compte tenu de nos très faibles ressources, il était temps pour elle de commencer à calculer. Sur ce point, j’étais plutôt à l’aise. Docilement, elle acceptait avec dignité de se laisser guider. Nous avions encore quelques économies, mais sans ressources officielles, il ne fallait pas déraper sur le verglas de l’extravagance !

    Plus question de s’accorder le moindre superflu. Grâce aux Parents, une fois de plus, nous pouvions honorer nos échéances principales. De mon côté, je faisais feu de tout bois pour trouver un emploi. Trop content de pouvoir enfin, subvenir seul aux besoins de notre foyer. Je mettrais à profit l’absence de Bibiche, pour m’enquérir des possibilités à ce sujet. Restait à convaincre ma dulcinée, du besoin impératif de cette séparation provisoire. C’était pour la bonne cause naturellement. Je me mettais à sa place. Elle acceptait difficilement de se passer de tendresse et de câlins, ne serait-ce que quinze jours. Il aura fallu toute la diplomatie de ses Parents, et tout mon courage, pour finalement la convaincre. Tous les vicaines, je promettais de les passer auprès d’elle. Ce n’était pas l’euphorie, mais très vite, elle comprenait que c’était pour son bien. J’avais besoin malgré tout, et ne me cachais pas de lui dire, de prendre un certain recul face à la situation.

    Faire le vide en moi, loin de toute pression. J’avais le sentiment de commencer une sorte de reconversion mentale. Épurer ce qui jadis, m’avait fait souffrir. Seul, j’avais plus de chances d’y parvenir. La présence de mon petit bouchon, plus amoureuse que jamais, ne pouvait que me desservir dans cette envie de faire la lumière en moi.

    Je n’ai pas attendu des jours pour éprouver avec tristesse les premières grosses difficultés. Le soir même du départ de Bibiche, je commençais à tourner en rond comme un ours en cage. Je mourais d’envie de la supplier de revenir. Je voulais me montrer à la hauteur, et ne pas me comporter comme un enfant capricieux. C’était là précisément que le travail sur moi-même débutait. De mon attitude forte et déterminée jaillirait la lumière.

    Point par point, j’analysais avec lucidité, tous les paramètres qui avaient été modifiés. La tolérance, le pardon, le partage et l’humilité, grâce à l’amour divin, confirmaient en ces heures de solitude, la solidité de leurs fondations.

    Ce n’était pas suffisant pour atteindre l’harmonie, mais un point de départ non négligeable. Replacer les choses et les événements à leur juste valeur, les déterminer de manière cohérente dans un contexte global, tel était mon objectif. S’isoler comme nous l’avions toujours fait dans notre cocon d’amour paraissait obsolète.

    Il fallait absolument que nous ouvrions nos cœurs en grand. Non pas d’une manière superficielle et subjective, mais au contraire, avec la ferme intention de donner le meilleur de nous-mêmes. En payant à boire et à manger comme nous l’avions fait jusqu’ici ? En offrant des soirées sans queue ni tête de manière inconsidérée ? Je réalisais le poids du ridicule et de l’absurde, engendré par ce besoin d’apparence.

    Ne pas confondre générosité et bêtise, voilà ce qu’il fallait que nous comprenions. L’amour ne s’offre pas, ne se monnaye pas, avec des coupes de champagne et des gâteaux. Seulement voilà, vers qui nous tourner ? Parler d’amour, sans risquer de passer pour des obsédés, était aléatoire ! Trahi par des personnes en qui nous avions toute confiance, je ne voyais vraiment pas comment nous pourrions trouver un équilibre à ce niveau.

    Qui, dans notre entourage immédiat, pouvait parler de foi ? De Dieu ? Autrement qu’avec un sourire cynique et réprobateur ? Nous n’allions tout de même pas passer une petite annonce dans un journal ? Restait la solution de sagesse en ce domaine, et c’était celle que j’adoptais pour ne pas me morfondre en vaines supputations.

    Laissant au Tout-Puissant le soin de nous guider, je reprenais mes analyses comportementales personnelles. Je remplissais en quelques jours, des pages entières de positifs et de négatifs, avec mon jeu sur l’ordonnance de l’esprit. J’ai été très étonné, pour ne pas dire subjugué, de constater que finalement tout n’était pas si négatif que cela. Un changement profond était intervenu, je ne pouvais que m’en féliciter. Métamorphosant les critères fondamentaux, cette épuration de l’esprit me confortait dans mon besoin de faire la lumière. Si l’on prend de nuit, la route au volant d’une voiture même équipée de puissants projecteurs, si l’on ferme les yeux, on a toutes les chances de se ramasser contre un platane. Ma vie jusqu’ici avait été la copie conforme de cet adage, créé par moi-même pour la circonstance. J’avais eu à maintes reprises tous les éclairages possibles sur ma route.

    Chaque fois que je sombrais au fond d’un ravin, je m’insurgeais, sans admettre qu’il me suffisait d’ouvrir bêtement les yeux pour y voir clair. Optant pour la facilité, je ne m’embarrassais pas de préjugés. À défaut de pouvoir obtenir gain de cause, faute d’arguments, j’utilisais la violence. J’étais persuadé qu’elle m’avait permis de me maintenir en vie, face aux autres et aux multiples dangers que j’imaginais.

    Durant cette première partie de mon incontournable célibat, je sentais mes viscères se contorsionner, sitôt que la colère montait en moi. Là encore et d’une manière spectaculaire, je prenais acte de l’inutilité et de la futilité de la violence et ses arcanes. Je n’avais pas envie pour autant d’aller baiser les pieds de celles et ceux, qui avaient abusé de notre gentillesse.

    Toutefois, je ne leur adressais plus que des pensées positives, démunies de haine et de rancœur. Sans eux, nous n’aurions jamais Bibiche et moi, dégusté les saveurs du bonheur absolu. Nous en étions au point de départ en vérité. Nous avions passé avec succès les épreuves finales, de l’examen ouvrant les portes de l’amour.

    Loin de nous démolir, cette brutale épreuve nous plaçait sur l’orbite céleste, celle où l’on ne rencontre que douceur et volupté. Je ne rêvais pas en pensant à tout ceci. J’étais conscient que désormais, d’autres épreuves viendraient parsemer notre route d’embûches et de pièges. Je savais, et j’en étais convaincu, que dorénavant nous ne faisions plus qu’un seul être, avec mon adorable petite femme.

     *   *

    *

     Après une cure de Jouvence de trois semaines, Bibiche revenait dans notre grand nid. Transcendée, elle rayonnait de tout son être. Elle avait repris son poids et enfin, adhérait à l’idée que nous n’avions que faire des éventuels commérages à propos de sa démission. Après tout, chacun peut à sa guise s’offrir une année sabbatique ? Raison de plus pour contourner l’obstacle.

    Elle ne voulait plus sortir avant son séjour ? En quelques jours, elle me prouvait que le soleil était revenu dans son esprit. Dans le parc entourant la maison ou celui situé à quelques centaines de mètres, par n’importe quel temps, nous affichions notre amour au grand jour.

    Nous étions tellement détachés des bassesses humaines, qu’il nous arrivait souvent de ne pas voir les gens que l’on croisait. Ce qui nous valait quelques épithètes pas très courtoises. Habitués à toutes les méchancetés possibles, nous passions outre.

    Cependant, la vie elle, ne se contentait pas de câlins et de moments euphoriques. Les ennuis commençaient à pointer leur museau. J’avais réussi à dénicher un emploi, en tant que vendeur en espaces publicitaires. Je n’étais pas plus motivé par mon boulot que par les patrons qui m’employaient. Ce travail nous permettait de partir le matin et revenir le soir, après une journée passée au grand air. Nous emportions notre pique-nique de midi dans la glacière, et, entre deux rendez-vous, nous nous installions au bord de la route pour déjeuner. Je me moquais éperdument de mon travail et de mes clients. Je n’avais qu’un désir, transformer le néant de Bibiche en paradis quotidien. Je ne pouvais pas oublier tout ce qu’elle avait fait pour moi. Je ne me sentais pas redevable, au sens littéraire du terme, mais je voulais lui prouver ma gratitude. Je luttais pour qu’elle parvienne à sortir de son ghetto moral.

    C’était pour cette raison que je ne me souciais pas de mes rendez-vous professionnels. Certes, la côte d’alerte était déjà atteinte sur le plan financier. En d’autres temps, je me serais arraché et j’aurais sorti mes tripes, pour gagner un maximum d’argent avec mes commissions.

    Ce n’était pas avec le «Fixe» dont je disposais que j’aurais pu subvenir à nos besoins. Heureusement qu’il y avait les notes de frais ! Car ce n’était pas avec ce que j’avais signé en contrats, que nous aurions pu vivre. Disons qu’en un peu plus d’un mois, j’avais gagné de quoi payer nos dépenses rien de plus. Je prenais bonne note au passage, de l’amour du Tout-Puissant à notre égard. Pour me permettre de m’occuper de Bibiche, Il écartait durant quelques semaines les patients de mon cabinet. Je pouvais consacrer toute mon énergie à ma Princesse.

    Je n’avais pas encaissé des fortunes avec mon boulot, mais au fond du cœur, je me sentais riche. Car ce que nous avions acquis avec Bibiche était largement plus important. Elle n’était pas totalement guérie, mais le moral était beaucoup plus stable. Un mois de bien-être et de détente, loin de la galère et du mutisme forcé, lui aura permis de recouvrir en partie sa sérénité.

    Après trois semaines de convalescence, cela faisait presque deux mois durant lesquels, nous pouvions prendre nos distances par rapport aux gens. Je m’étais montré assez ferme et déterminé, chaque fois que l’occasion m’avait été offerte. Je ne plaisantais pas en affirmant qu’il y aurait danger maintenant, dès l’instant ou quiconque se permettrait d’insinuer quoi que ce soit. Plus question de tolérer les insultes envers Bibiche. Car au travers des coups de téléphone et des lettres anonymes, il était clair qu’on cherchait à briser l’honneur de ma petite femme.

    Je savais plus ou moins, qui était à l’origine de ces insanités. Bibiche m’avait fait jurer de ne pas lever le petit doigt. Elle avait suffisamment de peine à surmonter la précarité de son état de santé, sans trembler à l’idée que j’aurais pu réduire en compote, les responsables de ces machinations diaboliques. En prenant nos distances, avec le temps, tout finirait bien par s’arranger.

    Cette fin d’année 91 ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices. Inscrite au chômage, Bibiche devait attendre au moins jusqu’en janvier pour toucher son premier salaire. Car naturellement cette chère administration du chômage, lui avait fait une ponction d’un mois complet.

    Une démission, même pour raison de santé, plaçait la personne en position de coupable. À ce titre, elle était pénalisée par une ablation plus ou moins considérable sur son salaire. Je pariais que la somme non versée à Bibiche avait dû atterrir «Accidentellement» dans les poches d’un ou deux fonctionnaires «Honnêtes» ! Cela nous était égal.

    L’épreuve annoncée avait sans doute pour objectif d’épurer les derniers tabous dont Bibiche était victime. Par exemple, le fait d’avoir honte d’aller pointer au chômage. Combien de fois se cachait-elle le visage ? D’un autre côté, il nous fallait jouer la carte de la prudence et de la discrétion à tous niveaux. Plus nous serions discrets sur notre vie, autant que sur nos projets, plus nous aurions de chance de sortir de l’impasse. Ce qui me laissait supposer que nous étions encore à tous les coups «Sur écoute», c’était l’arrivée de mes chères patientes espionnes. Je ne perdais pas mon calme ni mon sang-froid, en laissant croire que j’étais en train d’écrire un roman ; en insistant sur le fait que les noms des responsables ayant contraint Bibiche à démissionner seraient clairement transcrits. Ce qui rapidement aboutissait à un calme absolu. Plus de taupe, plus de craintes.

    Bibiche s’évertuait à respecter scrupuleusement les consignes, en matière de recherche d’emploi. Je me contentais pour ma part de ne pas trop m’affoler. Conscient que de toute façon les annonces pour l’emploi, étaient bidon pour une bonne moitié, ce n’était pas avec elles que j’aurais pu obtenir un poste. Je préférais aller chercher sur place, directement chez l’employeur.

    La crise économique commençait à montrer le bout de son nez. Ne trouvant pas de travail, je suivais les conseils de Bibiche en m’inscrivant à mon tour au chômage. Après tout, même si ce n’était que pour six mois, cela nous permettait d’envisager de recouvrer nos esprits et préparer l’avenir.

    Ses Parents une fois encore, volaient à notre secours. Conscients que nos finances étaient au plus bas, ils nous ont avancé une fois encore de quoi payer nos charges jusqu’à la fin de l’année. Le reste nous appartenait, il fallait à tout prix que nous fassions preuve de sagesse et de pondération.

    Calmement, à tête reposée nous envisagions de nous séparer de quelques mobiliers, afin de constituer nos réserves. Les comptes étaient tenus au centime chaque jour. Bibiche était même surprise de voir qu’avec une très faible somme d’argent au quotidien, l’on pouvait faire des économies sans ne nous priver de rien. Durant cette traversée du désert, nous ne disposions que de dix-sept francs par jour. Mes Parents malheureusement, faute de pouvoir intervenir financièrement, nous apportaient régulièrement des légumes de leur jardin. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, malgré la modique somme dont nous disposions, nous avons pu en moins d’un mois économiser plus de deux cents francs. Pour cela, nous mangions un rôti ou un poulet pendant toute la semaine. Viande, légume, fromage, à tous les repas nous avions ce qu’il fallait.

    Si le chômage nous avait versé nos deux salaires en temps normal, jamais, nous n’aurions souffert autant. Nous comptions au centime, alors que nous attendions désespérément, le versement de plus de six mille francs! Nous étions réduits à la mendicité ou presque, à cause des carences d’une administration.

    La misère, ce n’était rien. Ce qui devenait insupportable, c’était le mépris avec lequel, on traitait notre situation. Plus on essayait de mettre les lacunes de cette administration en avant, plus on se sentait acculés dans nos derniers retranchements. Cette période aura été très dure, mais ô combien bénéfique!

     *   *

    *

     Adieu 91, bonjour 92 ! Nous étions ravis de tourner la page. Aguerrie, sûre d’elle, Bibiche offrait un autre rayonnement. La sérénité, même si elle n’était pas absolue, prenait le pas sur la morosité. Ce qui me permettait de renouer avec le magnétisme. La période de vache maigre était-elle enfin, parvenue à sa fin ? Tout portait à le croire. Nous ressentions une odeur de bien-être, envelopper notre couple. Loin de nous laisser entraîner dans ce flot enjôleur, nous prenions les résolutions qui s’imposaient. Avant toute chose, nous constituer des réserves financières. Bibiche allait toucher plus de dix mille francs, puisqu’elle n’avait toujours rien perçu depuis bientôt trois mois !

    Avec nos bonnes habitudes sur le plan de la gestion, nous convenions de poursuivre quelques mois encore ce régime draconien. Sans parler de léthargie, nous nous laissions quelque peu embarquer sur la voie de la tranquillité. Nous avions trop dépensé ? Nous avions exagéré un tant soit peu sur la facilité et l’insouciance ?

    L’opposé et ses excès de prudence et de sagesse n’étaient sans doute pas du meilleur effet. Dieu ne l’entendait pas de cette oreille. Nous l’avions quelque peu écarté de nos pensées et bien entendu, Il se manifestait. Pas en nous envoyant un mandat postal, non... Plutôt sous forme de solution, à mon conflit avec l’argent envers le magnétisme.

    D’accord, les gens m’offraient ce qu’ils voulaient à chaque séance. Des deux francs d’une brave mamie, aux cent francs de quelques patients fortunés, chacun laissait dans le panier prévu à cet effet ce qu’il jugeait bon. Ce n’était visiblement pas suffisant pour prétendre avoir résolu définitivement le problème. La suffisance n’était pas synonyme d’accord parfait.

    À la moindre alerte, je l’admets loyalement, la précarité de cet équilibre relatif aurait explosé. Une fois encore, à mon insu, Le Tout-Puissant me guidait vers ce qui était, et demeure encore aujourd’hui, la solution définitive.

    Par le biais d’un encart publicitaire, émanant d’une école de massage, nous avons entrevu la possibilité de me réconcilier avec ce que je considérais toujours comme le fléau du vingtième siècle. La publicité faisait état d’une formation sur plusieurs mois, le vicaine, de masseurs diplômés. C’est en feuilletant les pages d’un hebdomadaire local que j’ai découvert cette circonstance favorable. Jamais, depuis presque deux ans que j’étais avec Bibiche, je n’avais ouvert ce journal. Si je l’avais fait ce jour-là, c’était uniquement pour y trouver l’annonce. Le hasard n’étant plus présent dans nos deux vocabulaires, il fallait bien octroyer cette lecture providentielle à quelqu’un.

    Qui, en dehors de Dieu, avait pu le permettre ? Ni une ni deux, Bibiche s’occupait de mon inscription. Plus enthousiaste que moi, elle prenait en charge ce qui visiblement, ressemblait à notre destinée. Deux jours plus tard, en même temps que les avis de virements des salaires, je pouvais remplir le dossier de l’école. Le massage, le magnétisme... Il n’en fallait pas davantage aux deux enfants que nous étions, pour envisager l’avenir de la meilleure façon.

    Que fallait-il que nous fassions pour fêter pareil changement ? Saumon champagne naturellement ! Dieu que cette soirée aura été divine. Depuis le début de notre pénitence, nous avions perdu le goût de ces bonnes choses. L’harmonie revenait aussitôt. Nous n’étions pas au bout de nos peines, nous en étions conscients l’un et l’autre.

    L’ouverture qui s’offrait à nous n’était pas synonyme d’apothéose. Loin de crier victoire, nous pensions au contraire à ce qui nous attendait dans les prochains mois. Raison de plus, pour ne pas nous laisser griser par l’apparence du confort matériel, suscitée par cette brusque rentrée d’argent.

    Rétrospectivement, nous relations la chronologie des événements. Grâce à Bibiche, je m’étais inscrit au chômage. Ce laps de temps allait me permettre de changer d’orientation professionnelle. Comme quoi tout était bel et bien prévu par Dieu ! Bibiche, qui avait droit à plus d’une année de chômage, aurait le temps de se refaire une santé. Le même temps, qui me servirait à structurer ma nouvelle activité et à me constituer un fichier intéressant. D’autant que ma clientèle devenait de plus en plus régulière et fidèle. Le constat que je faisais à l’égard de cette évolution, était de me sentir à la hauteur des nouveaux cas qui se présentaient à moi.

    Difficultés de couple, d’argent, de travail ou de mutisme, ont été durant ce début d’année 92, les problèmes auxquels j’étais confronté. Fort de notre expérience je pouvais conseiller, guider, voire aider ces personnes. Je retrouvais en elles, l’ensemble des situations que j’avais vécues, seul, puis avec Bibiche. Une sorte de récapitulatif grandeur nature.

    Je les visualisais, par mes clients interposés, pour mieux les extraire de mon subconscient. Très vite, je prenais acte de tous ces messages, qui me confortaient dans ma manière d’être. Mes capacités d’écoute, de ressentir me permettaient d’accentuer mon besoin de secourir les gens.

    Mon apprentissage en qualité de masseur, se déroulait merveilleusement bien. Tous les soirs ou presque, sur Bibiche, mais également sur mes patients, je m’entraînais. Les premiers «Cobayes» masculins, musclés et poilus à souhait, ne garderont peut-être pas de moi la meilleure image. Séance de caresses pour les uns, et d’épilation pour les autres, j’avais du mal à doser mes efforts. Les dames quant à elles étaient ravies et séduites.

    Tout se mettait en place gentiment. Jusqu’au jour où Le Tout-Puissant m’a placé sur une autre voie, que je qualifiais de limite, en matière de magnétisme autant qu’en massage. Par l’entremise d’une brave retraitée, atteinte d’ulcères variqueux perforés aux deux jambes, j’entrais brutalement dans l’action. Il me fallait d’une part, surmonter mon appréhension, mais surtout, limiter mon travail. C’était le départ d’une nouvelle structuration dans mon approche de la maladie. Contrôle de la pression sanguine, des pulsations, anamnèse approfondie, origines du dérèglement ayant entraîné ce déchirement des chairs. Le tout consigné sur des fiches individuelles. Je me gardais cependant de jouer au médecin.

    Cela ne m’empêchait pas de prendre mon rôle de plus en plus au sérieux. D’autant que les cours m’apportaient les réponses aux questions qui étaient encore floues dans mon esprit, notamment au sujet des interactions physiques dans l’organisme.

    Le niveau était très relevé et je m’en réjouissais. Au terme de notre premier entretien, voici ce que je pouvais résumer globalement : « Ma patiente souffre depuis plus de dix ans d’ulcères variqueux perforés aux deux jambes, beaucoup plus accentués sur le tibia droit. L’écoulement très intense est quotidien, les douleurs sont vives et permanentes le jour comme la nuit. Les démangeaisons la gênent considérablement. La cuisse droite est hyper tendue, enflée (55 cm) et bouillante en permanence.

    Un ganglion gros comme le poing est visible au pli de l’aine droite. La marche est rendue pénible, le talon du pied droit ne posant plus sur le sol. Elle souffre aussi de problèmes respiratoires et cardiaques (opérée du cœur), actuellement sous anticoagulants. Essoufflements en cas d’efforts ou mouvements forcés. En dépit du décès de son mari l’année dernière, elle affiche un bon moral et une «Positivité extraordinaire». 

     Dès le lendemain, je commençais mes séances. La tension était à 14,8/9. Passes lentes à grand courant, berceau, étirement polaire. Ensuite, compte tenu de la stagnation de la lymphe, il me fallait à tout prix tenter de l’activer. D’où un travail différent sur les Chakras. Au lieu de commencer par le 1er, j’entrais en action sur le 7ème et les suivants en descendant et non en montant. Les réactions les plus vives se produisaient sur le 5ème, le 4ème, et le 3ème.

    Étant donné que le pli de l’aine droite était totalement bouché par cet énorme ganglion, je tentais une autre action. Délaissant l’activation du premier Chakra, qui se serait soldée par un échec entre le pubis et le pied droit, j’essayais d’amoindrir le volume de la grosseur. Appliquant ma main droite bien à plat sur le ganglion, je posais ma main gauche à plat sur le 2ème Chakra.

    Par cette position, je cherchais à rétablir le passage de l’énergie et de la lymphe entre la jambe et le bas-ventre. Après un quart d’heure, ma patiente ressentait comme un courant lui parcourir la jambe et remonter jusqu’à la gorge. Le ganglion avait nettement diminué de volume. La cuisse droite était beaucoup moins chaude, et des fourmillements se manifestaient. Fort des enseignements tirés des séances passées avec mes autres patients, je poursuivais avec cette idée de contre-courant. Ma main droite enveloppait le pied droit de ma patiente, tandis que ma main gauche se maintenait sur l’ombilic cette fois.

    Le but à atteindre étant de stimuler la circulation lymphatique. Je maintenais la position un quart d’heure environ, durant lequel des gargouillis intenses dans le ventre, des lancées dans la cuisse et au pli de l’aine, se manifestaient régulièrement. La grosseur avait encore réduit de volume. Les douleurs dans la jambe avaient totalement disparu. Une première pause «Pipi» ponctuait cette première phase.

    Ensuite, j’effectuais des impositions sur les deux jambes, mains à plat de part et d’autre des membres. Je descendais depuis l’aine jusqu’aux pieds, très lentement. Je pouvais alors, au terme de cette série qui a duré en moyenne dix minutes par jambe, essayer d’ouvrir le 1er Chakra. Ce n’était pas une totale réussite, mais un début prometteur. Le ressentir de ma patiente, témoignait de la présence d’un flot minimum d’énergies.

    Liaison immobile, recharge centrale, dynamisation du pancréas, du foie et des reins étaient l’avant-dernière étape. Je pouvais consacrer mon attention sur les foyers actifs, qui laissaient s’échapper des flots ininterrompus de pus. Impositions circulaires traversantes, faisceau de la main droite, étaient durant de longues minutes, les seuls moyens dont je disposais pour endiguer ces sécrétions.

    Au terme de cette première séance, non seulement ma patiente n’avait plus aucune douleur à la jambe et au pied, mais les plaques rougeâtres étaient nettement moins vives. Les écoulements étaient pratiquement arrêtés. La température de la cuisse droite était redevenue tout à fait normale. La pression était tombée à 13/8. Soulagée, ravie et confiante, ma patiente était aux anges. Je prenais la précaution de l’aviser des risques évidents de violentes douleurs, dans les heures à venir et aussi au cours de la première nuit. La pauvre avait tellement souffert jusqu’ici, sans pouvoir faire quoi que ce soit pour amoindrir les douleurs, qu’elle était enchantée de savoir que celles à venir allaient témoigner de l’amélioration en cours.

    Deux jours plus tard, comme prévu, je l’accueillais de nouveau. La pression sanguine était de 12,4/7. Le ganglion était pratiquement résorbé. Le volume de la cuisse droite avait régressé sensiblement et le diamètre était de 53 cm. Les douleurs étaient elles aussi en nette régression. Les écoulements légèrement ralentis. La cuisse était moins tendue et surtout beaucoup moins chaude que la première fois. Les surfaces infectées enfin, étaient pour leur part nettement moins rouges. Certaines croûtes commençaient même à se former, en périphérie de la zone atteinte. Pour l’anecdote, ma patiente m’indiquait avec un certain plaisir, qu’elle n’avait jamais été autant faire pipi que durant ces deux derniers jours ! Ce qui expliquait la perte d’un kilo sur la balance.

    Loin de prendre la grosse tête, je me contentais de la féliciter pour l’excellent travail qu’elle effectuait sur son mental. Je commençais alors ma seconde séance, identique en tout point à la précédente. Je ne voulais pas changer ce qui visiblement, était porteur d’un espoir authentique.

    Cette fois, je modifiais sensiblement la chronologie de mes mouvements. Je débutais par l’ouverture des plis de l’aine, suivie d’une dynamisation des ovaires. Le berceau, l’étirement polaire venaient ensuite. Je négligeais le balancement du ventre, au profit d’une application crânienne. Je faisais mes activations sur les Chakras, du 1er au 7ème cette fois, avant de revenir en application prolongée sur le Chakra du cœur ; ma main droite posée à plat entre le sternum et le mamelon, mais sans placer ma main gauche sur le front. Le but de cette action étant de favoriser un meilleur échange énergétique et circulatoire, dans la région du cœur. Les déblocages un peu partout dans le corps confortaient l’efficacité de cette application. De même que des fourmillements très forts dans les zones infestées.

    Une fois que j’avais effectué la totalité des mouvements, je décidais d’accentuer mes efforts sur le pied droit, particulièrement réactif au cours de cette seconde séance. Partant du sommet du muscle tibial antérieur, où se situait l’épicentre des foyers purulents, je descendais en imposition tournante depuis le genou jusqu’aux doigts de pied. Je libérais alors les derniers blocages sous le talon et le tendon d’Achille, en alternant les faisceaux traversants et ceux d’une seule main de part et d’autre des zones concernées. Les réactions dans le ventre, la jambe et un peu dans les bras, étaient présentes durant toute cette phase.

    Au terme de cette deuxième séance, si la tension n’avait pas bougé, ma patiente pouvait poser le pied par terre sans éprouver la moindre gêne. Cependant, sans pour autant l’en informer, je ressentais quelque chose de bizarre en elle. Tout dans son attitude, s’opposait aux réactions que j’étais en mesure d’espérer. Loin de manifester un enthousiasme au demeurant légitime, elle s’enfonçait au contraire dans une sorte de léthargie.

    À chaque phrase, elle parlait de son mari. Elle se sentait presque coupable de sa mort. Cet aspect m’a fait peur sur le moment, ne voyant pas comment j’allais pouvoir l’aider à se soustraire à ses pensées lugubres. J’ignorais qu’elle se résignait. Elle refusait le combat et voulait se laisser mourir. Elle ne me l’avouait pas de manière absolue, mais par bribes de mots plus ou moins cachés, je pouvais établir cette synthèse alarmante.

    Il me fallait être prudent et vigilant. Si le moral venait à s’étioler, les séances ne seraient plus que le spectre d’une intervention illusoire. Raison de plus pour l’encourager à persévérer, feignant de ne pas comprendre le sens des propos qu’elle tenait. Le combat que je menais était double. Vis-à-vis de ma patiente bien entendu.

    Par ailleurs, je le menais face à moi-même. Je n’en étais pas au stade de ma patiente, qui venait de perdre son conjoint. Je ressentais pourtant le vide qu’elle pouvait éprouver, en établissant un lien entre elle et Bibiche. Les douleurs que j’accumulais, faute de la sentir au mieux de sa forme, ressemblaient étrangement à celles de ma brave mamie. Trois jours plus tard, les effets destructeurs de ses pensées négatives affichaient clairement l’incidence qu’ils avaient eue sur le métabolisme de ma patiente. La pression tout d’abord, qui en début de séance était de 11/7. La brève anamnèse révélait des troubles circulatoires, confortant la dégénération en cours. Le moral n’y était pas non plus.

    Pour la première fois depuis le décès de son époux, selon ses dires, elle n’avait pas cessé de penser à lui depuis la dernière séance. Elle lui mettait même son couvert à chaque repas et elle lui parlait comme s’il était là. Visiblement, elle ressentait l’absence de l’être aimé qui se manifestait de manière violente.

    Elle avait vécu jusqu’ici de manière superficielle, vis-à-vis du défunt. Après les deux premières séances, elle prenait pleinement conscience du vide qui l’entourait. D’où son envie de ne plus lutter et d’abandonner le combat pour enrayer son mal. Les symptômes, caractéristiques de cette chute du moral, étaient évidents. En plus de la tension, elle avait rencontré des manifestations étranges. Sa main gauche violacée, palpitations cardiaques très fortes et douloureuses.

    Le ganglion un tantinet augmenté, douleurs au foie et à la vésicule. Le cœur qui se serrait, et des difficultés respiratoires. L’oppression sur la cage thoracique traduisait à elle seule l’incidence de cette brusque attitude envers son mari. Les poumons, sur le plan énergétique, représentent la tristesse. Le cœur, la peine et la souffrance. Le foie et la vésicule enfin, symbolisent la colère et les angoisses retenues. Ce qui m’imposait une modification stricte dans le déroulement de ma séance. La lutte contre l’angoisse, la relaxation et la détente nerveuse, s’imposaient avant toute autre intervention.

    Ensuite, une fois apaisée, je pouvais reprendre le cours normal de la séance. Au terme de celle-ci, tout semblait rentré dans l’ordre. Le moral de ma patiente était plus fort et après quelques larmes en cours de séance, elle paraissait voir les choses avec une certaine logique. Elle pouvait être ma grand-mère, et je lui parlais avec tout ce que j’étais en mesure d’apporter sur le plan de l’affection et du respect.

    J’ai passé ce jour-là, plus de temps à lui remonter le moral, qu’à effectuer des mouvements pour la soulager physiquement. Nous sommes restés à bavarder plus d’une heure. Nous étions aussi heureux l’un que l’autre, quand nous avons pris congé. J’insistais, avant qu’elle ne s’en aille, sur le fait qu’elle ne devait pas hésiter une seconde à m’appeler. Ou venir nous voir, si brusquement le moral donnait des signes de faiblesse.

    Le soir même, en relatant les faits à Bibiche, elle prenait l’initiative d’inviter la mamie pour le dimanche suivant. Pas question de l’abandonner dans un tel état de désarroi. Progressivement, après une douzaine de séances, le moral autant que le physique donnaient des signes très encourageants de stabilisation.

    Mamie avait perdu plus de quatre kilos. Les mesures, attestaient de la stabilité de son état : la cuisse droite mesurait 50 cm au lieu des 55 initiaux. Les écoulements avaient cessé et les trois quarts des plaies s’étaient cicatrisés. Ma brave mamie, qui depuis est toujours notre amie, retrouvait peu à peu le moral. En même temps que ses jambes avaient réduit de volume de manière encourageante, les plaies étaient moins purulentes et se refermaient progressivement. Les massages en effleurages légers, contribuaient à activer la circulation sanguine et lymphatique. Éliminant ainsi, l’amalgame de toxines accumulées dans les jambes et les ganglions des plis de l’aine.

    La mamie, ayant retrouvé son tonus, entreprit d’effectuer un voyage organisé en Hollande. Elle m’a demandé mon avis quand même, afin de ne pas compromettre l’évolution de sa guérison. Je n’étais pas très rassuré. Je ne lui faisais part d’aucun de mes doutes. Je sentais chez elle, comme une sorte de désir prémonitoire à se détruire. En faisant croire soudainement, à un éclatement de mieux-être, je décelais au contraire une envie de disparaître. Tout dans sa façon d’envisager son séjour, confortait mes craintes. Les bonnes bouffes… Les promenades… Les soirées… Elle n’était pas coutumière des faits. Elle n’avait pas non plus, un état de santé qui lui permettait de tels écarts. À chacun son destin ! Je me résignais à lui donner mon assentiment.

    À son retour, Dieu me faisait prendre conscience de mes limites. Ayant abusé de ses forces, et quelque peu des bonnes tables, ma patiente était dans un état pitoyable. Les jambes avaient doublé de volume, les plaies réactivées laissaient échapper de nouveau des flots purulents. Quand elle est arrivée à son rendez-vous, je me suis senti désarmé, impuissant.

    Car, en plus du physique, le mental était atteint. Je la retrouvais comme au deuxième jour du traitement, lointaine et désabusée. La cuisse droite mesurait presque soixante centimètres de circonférence !

    Le plus grave, était que l’autre jambe, les genoux, les chevilles, tout avait suivi. Un peu comme si d’un seul coup, le circuit lymphatique s’était arrêté de fonctionner. Ce qui m’a fait le plus mal, a été d’entendre mon adorable mamie, m’avouer que plus rien désormais ne pouvait endiguer l’évolution du mal. Elle attendait la mort, résignée. La tension était à son niveau le plus fort : 150/98 ! Les douleurs physiques étaient moins virulentes, que celles qui lui brisaient le cœur.

    Que pouvais-je faire ? La situation était dramatique. Une force inconnue m’interdisait de tenter quoi que ce soit. C’est là, que je comprenais où était la fin de mon action. Admettre ses limites ! Reconnaître humblement, les risques potentiels à vouloir s’imposer à tout prix, j’en découvrais les bienfaits. Je ne voulais surtout pas mettre la vie de ma patiente en jeu. Les pensées qui me venaient en cet instant étaient d’imaginer un cancer lymphatique. Quels étaient les messages que nous devions interpréter mamie et moi ?

    Sans m’affoler ni perdre le sens de la réalité, après ce moment légitime de doute et de craintes, je prenais les initiatives qui s’imposaient. Immédiatement, faisant appel à une amie spécialiste en lymphologie, je confiais ma brave petite mamie à des mains plus expertes. Le soir même, mon amie acceptait de venir chez nous, pour examiner la mamie. Il était temps en effet !

    Mon amie, jugeant la gravité de la situation, se chargeait de ma patiente. Une véritable chaîne de solidarité se mettait en place. Elle prenait les choses en main et appelait aussitôt un très grand professeur en Allemagne, auprès de qui elle avait passé ses diplômes. Elle conduisit elle-même ma patiente auprès du professeur.

    Hélas, d’après ce très grand spécialiste, les chances de guérison étaient infimes. Le cœur serré, les frissons me parcouraient l’échine, quand j’ai appris de la bouche de mon amie, que ma mamie était sans doute condamnée. La gangrène, horrible et cruelle, avait entrepris sa destruction. Apprendre cela, le jour de mon examen de massage, il y avait de quoi me saper le moral. Le jour où précisément, je passais mon diplôme. Mon amie n’avait pris aucune précaution et encore moins, le plus petit ménagement à mon égard.

    Elle m’a annoncé la nouvelle froidement, entre les vitres de nos voitures immobilisées l’une à côté de l’autre. L’ambulance pendant ce temps, évacuait ma pauvre petite mamie que sans doute, je ne reverrai plus vivante. Je me sentais perdu, désemparé. Loin de m’abattre, cette triste éventualité me dynamisait au contraire. Je serrais fort contre mon cœur le petit moulin, qu’elle m’avait apporté de Hollande. Il ne me quittait pas durant les épreuves. Je jurais d’honorer ma patiente, en me montrant digne de l’amour qu’elle m’avait offert. Pour mamie, je devais obtenir mon brevet. En pensant très fort à elle, devant les médecins de l’école Cellsan à Spreitenbach, j’obtenais mon glorieux diplôme. Loin de m’abandonner aux exubérances de l’inévitable «Après succès», je rentrais très vite à la maison.

    Les nouvelles n’étaient pas rassurantes, mais elle était en vie, ce qui était le plus important. Je n’oubliais pas mon magnétisme pour autant, avec ma patiente fétiche. Tous les soirs, je me concentrais en télépathie, afin d’aider les médecins à endiguer sa maladie. Elle était condamnée médicalement ? Était-ce l’avis du Tout-Puissant ?

    Je m’en remettais à son jugement, et en plus des séances nocturnes de magnétisme en télépathie, je priais avec Bibiche. L’amour que nous adressions à notre mamie était total. D’après mon amie, ses chances de survie étaient infimes à son admission à l’hôpital ? Traitée à très haute dose d’antibiotiques, les médecins se réservaient prudemment.

    Une semaine après son opération, la mamie pétait les flammes. Miracle ? Les médecins n’y comprenaient rien, se contentant de savourer leur succès. Seule, mamie savait... C’était notre secret. C’était surtout pour moi, la preuve indiscutable du résultat possible et de la complémentarité, entre la science et le magnétisme. Naïvement, ma patiente en parlait aux chirurgiens ! Quand elle m’a fait part de leurs réponses, je prenais conscience des lacunes qui restaient à combler, avant que l’union entre les deux forces ne devienne effective. L’humilité m’imposait de ne pas entrer en conflit. L’avenir nous dirait si oui ou non, les inconditionnels d’Hypocrate, admettraient un jour que le corps humain, ne dépend pas uniquement du seul savoir de la médecine.

    L’énergie qui régit le fonctionnement du métabolisme a ses lois strictes, aussi formelles que les règles d’éthique de la science médicale. L’antagonisme était omniprésent. Je ne pouvais rien faire pour essayer d’arrondir les angles. Laissant le destin suivre son chemin, j’évitais de faire des vagues inutilement. Sur ce registre, il appartient à Dieu et à Lui seul d’intervenir, et non aux hommes qui incarnent le pouvoir dans l’une et l’autre des forces en conflit.

    Je me contentais, je me délectais même, d’avoir admis mes limites et permis sans doute, de sauver la vie de notre brave mamie adorée. Je n’aime guère, pour ne pas avouer mon hostilité à ce sujet, souscrire aux témoignages de mes patients. Ce qui m’a valu beaucoup de déboires et de déconvenues depuis. Principalement au niveau des assurances maladies.

    Je réfute cette démarche, qui n’a aucun sens, et qui dénature l’essence même de l’amour qui émane des séances. Cependant, je ferais une exception avec ma mamie, en lui laissant la possibilité de décrire par courrier, et résumer, cette période douloureuse. Ne serait-ce que pour alléger ma conscience, en éliminant le doute de ne pas être cru. Cette période est trop noble et pure, pour que je prenne le risque d’entacher son aura. Alors ma chère mamie, où tu veux quand tu veux, je te laisserai le soin d’apporter ton témoignage à cette histoire.

    En attendant que mamie puisse être en mesure de marcher normalement, nous organisions mon nouveau cabinet à la maison. Bibiche, fière et ravie, me préparait le terrain mieux que je n’aurais pu le faire. Cartes de visite, annonces publicitaires, elle a mis tout en œuvre pour me permettre de créer ma clientèle en massage. Mes séances avec mes patientes, étaient le reflet de ce que serait mon activité à venir.

     *   *

    *

     Sur mon chemin, je ne tardais pas à faire la connaissance d’une personne, qui allait apporter la solution à mes problèmes de diversité en matière de soins. Le renouveau financier au centre, m’accordait la possibilité de m’investir dans une double formation thérapeutique. Espacée sur quatre mois, entre avril et juillet, je pouvais renforcer la gamme de mes prestations. Le massage métamorphique (Prénatothérapie), et celui en Lemniskate ou Massage en huit, me confortaient dans mes nouvelles dispositions. Le premier, était capable de remonter jusqu’à la période de gestation. Le but à atteindre, étant d’éliminer les blocages présents, autant que ceux du passé. Le second, bien que très sensuel, n’en était pas moins efficace contre les phénomènes de stress, angoisse, et nervosité. Eurêka ! Avec ces deux techniques, performantes et gracieuses en même temps, je pouvais apporter une autre force à mes soins.

    Judicieusement intégré à mon magnétisme, je ne tardais pas à découvrir le potentiel énergétique, que je pouvais puiser dans ces thérapies. Un obstacle érigeait quelques barrières cependant. La Prénatothérapie faisait peur, le Lemniskate effrayait ! L’un, par la force avec laquelle il pouvait neutraliser les dérèglements, remuant au passage le subconscient. Tout le monde n’y était pas prêt. L’autre, c’était au contraire à cause de sa trop grande sensualité !

    Les tabous, les principes ou plus simplement les manières, interdisaient au début, l’accès à plusieurs patientes. La nudité totale, les caresses, dérangeaient. Je ne faisais certes rien, susceptible de froisser la respectabilité de mes patientes, qui venaient à ces pratiques quand elles le jugeaient bon.

    Je refusais de la même manière, de me laisser entraîner dans le jeu débile des curieux qui à tout prix, «Voulaient voir» ce que ça donnait. Je prenais mon rôle très au sérieux et je déclinais les demandes, motivées par l’unique envie d’assouvir un fantasme. L’une et l’autre des techniques avaient un relief essentiellement thérapeutique. Pour moi, c’était un outil de travail, non un moyen déguisé pour servir de guide aux personnes en manque d’émotions.

    Je gardais toutefois présent à l’esprit, la force du métamorphique surtout et de ses effets, qu’il avait produits sur moi. Pour ne pas prendre le risque, de voir ma patiente en cours de séance, subitement «Décoller» ! Quant au Lemniskate, ponctué par un travail sur l’aura, je précisais aussi qu’au-delà de son côté sensuel, un travail intense s’effectuait sur la personne. Mes premières patientes avaient au cours de leur séance, ressenti le besoin de laisser sortir les émotions qui étaient libérées. Je refusais d’être un vendeur sur un champ de foire, faisant des démonstrations dans le seul but de vendre ses produits. Cette façon d’être, elle non plus, n’a pas varié d’un pouce aujourd’hui.

    Les bonnes nouvelles n’arrivent jamais seules dit-on ? Cet adage était confirmé durant la même période. À peine m’étais-je inscrit aux cours, que Bibiche de son côté, manifestait le désir de devenir une thérapeute à part entière. C’était le drainage lymphatique qui la séduisait le plus. Je n’avais pas encore mes diplômes en poche que déjà, mon trésor de petite femme s’investissait corps et âme dans son nouveau sacerdoce.

    Étalée jusqu’à la fin de l’année, la formation promettait d’être longue et pénible. Comme nous étions fermés le dimanche, cela ne posait guère de problèmes. En dehors de quelques samedis naturellement, le centre ne souffrirait pas de cette envie commune, d’apprendre toujours plus. Les demandes de la clientèle étaient de plus en plus précises et orientées vers les médecines naturelles. Les occasions qui venaient de s’offrir à nous avaient de quoi combler tous nos désirs. De plus, grâce à sa formation, Bibiche allait pouvoir enfin devenir «Productive» !

    Je comprenais ce jour-là, le sens qu’elle mettait à ce mot. Pour elle en effet, le fait de me sentir seul, pour faire tourner le centre sur le plan pécuniaire, la culpabilisait. Je ne faisais pas, avant ce jour, la nuance entre avoir l’impression de ne rien faire et celle de souffrir, par manque d’intégration au processus financier. Tout devenait clair dans mon esprit. Quand elle clamait avec ferveur ses projets, avec une lueur aveuglante au fond des yeux, je voyais naître dans son cœur un bonheur absolu. D’autant que spontanément, ses pensées convergeaient sur moi.

    Puisque bientôt elle allait à son tour, faire entrer de l’argent dans la caisse, je pourrais en profiter pour me reposer un peu. Loin de s’inventer la moindre notoriété, revendiquant prématurément un éventuel succès, elle pensait déjà, à me permettre de lâcher les rênes. Éternellement, et là, elle n’a pas changé non plus, son seul souci était de s’investir pour me soulager.

    Altruisme, dévotion, grandeur d’âme, depuis le premier jour de notre rencontre et malgré les tourmentes, rien n’était modifié. Elle était heureuse, que si elle me sentait bien. L’argent, les problèmes, tout pouvait se résoudre selon elle. La seule chose qui comptait, c’était notre amour.

    Là, je ne puis, même si je me répète, que confirmer l’étendue encore plus grande de cette générosité. Elle mourait d’envie de travailler et s’investir dans le drainage. Comment dans ces conditions, ne pas trouver les forces et les ressources suffisantes, pour arracher les montagnes... d’impayés seulement ! 

    Poursuivant sur ma lancée, je m’inscrivais auprès du laboratoire pour une formation en médecine aromatique. Celle-ci étant prévue pour la fin de l’année, entre septembre et décembre, me permettait de me plonger assidûment dans mes livres. Ainsi, Bibiche ne serait pas seule à étudier ! Malgré les difficultés financières qui elles, ne nous oubliaient pas, l’harmonie était atteinte.

    La sérénité prenait le pas sur la morosité des derniers mois. Nous nous sentions Bibiche et moi, parfaitement bien dans notre peau. Nos relations s’étoffaient elles aussi. En ouvrant notre cœur à plusieurs personnes, nous caressions secrètement le rêve d’avoir bientôt, un couple d’amis véritables. Des gens comme nous, simples et unis, capables de nous aimer comme nous étions en mesure de le faire.

    Hélas, à bien des égards, il nous fallait faire attention avec qui nous discutions. Parler d’aimer quelqu’un, d’un amour divin exclusivement, risquait de faire naître des sentiments plutôt bizarres ! Ce fut pour cette raison, que nous rangions au rayon des questions sans réponses, notre envie de fréquenter un couple d’amis sincères. Tout ce qui importait, c’était de faire tourner le centre.

    Franchement, peu avant la fin du mois de juin, tout portait à croire que nous étions sur la bonne voie. Une proposition de rachat du bail nous avait même été faite. Ce qui nous conduisit à solliciter un emprunt bancaire. Hélas, le passé nous clouait au sol, en nous interdisant de rêver.

    Sans fortune personnelle, sans le moindre apport, nos chances d’aboutir s’amenuisaient au fil des jours. Grâce à une augmentation sensible de ma clientèle, je me battais de nouveau comme un lion. Nous redoutions les vacances annuelles ? Jamais, elles n’avaient été aussi fructueuses. Après un mois de juillet d’enfer, Dieu essayait de tempérer ma fougue.

    Fou de joie, d’avoir pulvérisé le meilleur chiffre depuis l’ouverture, je ne regardais pas la fatigue. Le signal d’alarme, adressé par Le Tout-Puissant le premier août, ne m’interpellait pas. Invités par des voisins à passer une journée de pêche sur le lac Léman, nous étions Bibiche et moi, ravis de sortir enfin de notre «Trou». Dieu m’avait donné rendez-vous ! Je ne m’étais pas exposé au soleil, depuis Dakar. J’étais pâle comme la mort.

    En dépit des recommandations de Bibiche et de nos amis, je ne surveillais pas ma peau. Ce qui devait arriver se produisit. Brûlé au deuxième degré, sur les jambes et les bras, je ressemblais à une écrevisse. Sauf que moi, cette couleur ne me convenait pas du tout. Il s’en était manqué de peu, pour que je me retrouve à l’hôpital de Lausanne, au service des grands brûlés ! Allais-je enfin, entendre le message et arrêter mon activité ? Pas le moins du monde. Je ne m’arrêtais qu’une seule journée, poursuivant mon travail avec les membres bandés. Ce qui était assez épique. Car pour me baisser, c’était la croix et la bannière.

    Tout le monde me traitait de fou, voire d’irresponsable. C’était gentil en vérité ! À celles et ceux qui le criaient un peu trop fort, je rétorquais cyniquement de me donner l’argent nécessaire pour partir en vacances. Être à son compte c’est merveilleux, magnifique et grisant, malgré les tracas. Partir en congés, n’était-ce que dix jours... c’était une autre paire de manches ! Qui donc allait remplir la caisse en notre absence ?

    À moins que les charges ne se soient mises elles aussi au vert, durant cet arrêt de travail ? Je passais outre les recommandations de tout le monde. La clientèle était plus intense que jamais. Grâce à mes nouvelles techniques, l’horizon pécuniaire commençait à s’éclaircir. Je fonçais de plus belle, enivré par cette recrudescence d’activité.

    J’espérais, avec mes nouveaux diplômes, ouvrir quelques portes auprès des compagnies d’assurances. Je comprenais très vite, à mes dépens, que pour se faire reconnaître en toute honnêteté, cela relevait de l’utopie pure et simple. Je me contentais donc de mon unique reconnaissance. Je ne voulais pas dépenser mon énergie en futilités bureaucratiques, encore moins dilapider le peu d’argent dont nous disposions pour élaborer des dossiers qui ne servaient à rien.

    Cependant, le rythme auquel je m’étais astreint laissait présager des difficultés prochaines. Cette fois, je prenais conscience du poids de cet excès de travail. Je sentais peser la fatigue sur mes épaules.

     *   *

    *

     Nous étions à quelques mois de l’examen de Bibiche. Je n’allais pas faiblir si près du but ? De plus, Bibiche avait tout loisir d’exercer ses talents sur moi ! Tous les soirs ou presque, ma douce chérie se faisait un plaisir de soulager mon dos essentiellement. Elle progressait à pas de géants, dans son apprentissage en drainage. Avec ses mains de fée, d’une douceur extrême, elle faisait preuve d’un Don certain. Elle avait réellement trouvé sa voie, et j’en étais ravi pour elle.

    Toutes mes patientes, à quelques exceptions, se prêtaient de bonne grâce aux exigences de sa formation. Gratuitement, Bibiche leur faisait des séances de drainage lymphatique. En quelques semaines, elle passait allègrement le cap des cent drainages. Je mettais tout en œuvre pour parfaire sa technique.

    Pour lui permettre de diversifier son toucher et l’adapter à un maximum de types de peaux. Évitant la monotonie des gestes répétitifs, sur deux ou trois patientes, je lui avais tiré quelques tracts publicitaires. Le bouche-à-oreille d’un côté, le porte-à-porte dans les différents commerces du coin, en quelques jours, elle avait une bonne dizaine de patientes nouvelles.

    Elle était fière d’avoir «Ses clientes» ! Nous n’étions pas dupes. Pour les séances gratuites, il y avait toujours du monde. Restait à voir ce qu’il adviendrait par la suite, de cette clientèle pour la moins enthousiaste, volontaire et vraiment… «Enchantée», sitôt que les séances de Bibiche seraient accompagnées d’une rétribution adéquate. Il suffisait d’en discuter, pour comprendre qu’elle aurait beaucoup moins de monde dans peu de temps.

    Le mois de septembre arrivait. En dépit de nombreux signaux d’alarme du Tout-Puissant, je persistais dans mon rythme de travail. L’obtention d’un prêt, accordé après maintes recherches, me faisait pousser des ailes. Loin de réduire la fréquence de mes massages, je maintenais le quota journalier aux alentours de sept. À titre indicatif, chaque séance durait en moyenne quatre-vingt-dix minutes !

    Toutes mes techniques de soin, la polarité, le magnétisme, le Taoïsme, étaient tour à tour sollicitées. Pas une séance ne ressemblait à la précédente. Fourbu, mais heureux, je rendais grâce au Tout-Puissant de me donner l’énergie nécessaire pour accomplir ma mission. Il ne devait pas être tellement d’accord avec moi, mais cela, je ne l’ai appris que quelques semaines plus tard !

    Sur le moment, fort de la notoriété que nous avions acquise, je ne pensais nullement freiner mes efforts. Pire encore. À moins de quinze jours de mon premier séminaire de médecine aromatique, je m’inscrivais pour un autre vicaine de formation. La digito-électro-puncture, que j’avais étudiée jadis, ravivait la flamme de la passion. J’y voyais par-là, la solution aux problèmes que je rencontrais quotidiennement. Après un bilan énergétique par exemple, si le patient ne manifestait pas le désir de se faire masser, il manquait un trait d’union, pour rétablir la normalité dans les méridiens.

    Le magnétisme, l’équilibrage énergétique, influençant plus fortement l’enveloppe du corps et des organes, s’avéraient insuffisants pour dynamiser les méridiens. Grâce à la digito, je pourrai répondre présent à ce niveau, sans proposer une thérapie prolongée. Un rééquilibrage avec la digito, après un bilan, cela me faisait une prestation supplémentaire. Les deux derniers vicaines de septembre étaient d’ores et déjà, mis hors course. Tout comme les suivants, jusqu’à la fin quatre-vingt-quinze. Poussant le bouchon un peu trop loin sans doute, j’envisageais de mettre à profit les cours de Bibiche, pour meubler les deux dimanches où j’étais seul. Je n’avais plus de place durant la semaine sur mon agenda ?

    L’aubaine de ces deux fins de semaine tombait à pic. Loin de les consacrer à un farniente quelconque, je prenais des rendez-vous avec une dizaine de patients. Plutôt que tourner en rond, si tel avait été le cas, je préférais donner un peu plus d’air aux finances. Ce sont, je crois, ces décisions malencontreuses, qui ont déclenché la suite des événements.

    Le Tout-Puissant ne l’entendait pas de cette oreille. Je ne voulais pas l’écouter et réduire mon activité ? Il s’y employait avec force et détermination. Tout de suite après mon dernier vicaine de formation, le soir même, j’étais pris d’une violente migraine. Pas aussi forte que les précédentes, mais tout de même. J’aurais dû entendre le message et je ne l’ai pas fait. Le lendemain, puis le surlendemain, même cinéma. Chaque soir à la même heure, en arrivant à la maison, j’étais secoué par ces maux de tête musclés.

    Les premiers soirs, un cachet suffisait pour enrayer le mal. Hélas, comme j’étais toujours aussi têtu et sourd, Dieu amplifiait la durée et la force des migraines. D’une heure environ, les quatre premiers jours, j’en arrivais à plus de trois heures à la fin de la semaine. Du mieux que je pouvais, je dissimulais l’intensité à Bibiche. Elle se faisait un mauvais sang d’encre. Mieux que moi, et elle a eu l’occasion de me le répéter tous les jours, elle était consciente des avertissements du Tout-Puissant. J’acceptais, pour faire preuve de bonne volonté, de diminuer la fréquence de mes rendez-vous. Ce n’était pas suffisant pour Dieu, qui m’infligeait le 12 octobre, une migraine épouvantable. À tel point, que Bibiche appelait le médecin de garde. J’étais en plein délire. Il était un peu plus de vingt-trois heures quand la doctoresse arrivait. Depuis dix-neuf heures, en quittant le centre, la migraine n’avait cessé d’augmenter. La toubib manifestait son étonnement, face à une telle intensité du mal.

    C’était la première fois qu’elle assistait à une telle crise. Elle a fait ce qui était nécessaire. Était-ce l’effet de la piqûre de morphine ou l’effondrement dû à la fatigue ? Toujours est-il que cette nuit-là, je m’endormais vers deux heures du matin. En me réveillant le lendemain, comme les fois précédentes, plus rien. Pourquoi aurais-je arrêté mon travail ? Mes patientes, émues par mon état de fatigue extrême, que je dénigrais naturellement, me mettaient en garde.

    À ce petit jeu, je risquais d’être perdant ! Je ne voulais rien entendre. Tant que Bibiche ne serait pas capable de prendre le relais, je poursuivrais mon effort. Sitôt qu’elle serait opérationnelle, je le lui avais promis, je réduirais la fréquence de mes séances. Je ne réalisais pas qu’en plus de ma santé, j’étais en train de démolir tout ce que j’avais mis si longtemps à construire. Épuisé comme je l’étais, je ne pouvais pas apporter plus du quart de mon potentiel habituel. Comment pouvais-je en être conscient ?

    Inéluctablement, les répercussions se ressentaient sur le chiffre d’affaires. Travail moins performant, sous-entendait lassitude des patients. De la lassitude à l’écœurement, il n’y avait qu’un pas, que beaucoup d’entre eux ont franchi. Ce qui veut dire que sitôt les premières défections constatées, je commençais à m’en prendre à mes patientes. Pour rien au monde, je ne me serais remis en cause à ce moment-là. Je tempêtais, maugréais, jugeant leur lâcher prise arbitraire. Le chapelet habituel égrenait son contenu d’invectives. Bibiche n’osait pas me contrarier, essayant de temporiser du mieux qu’elle pouvait. Les fêtes de fin d’année n’étaient plus très loin ?

    Peut-être bien que certaines patientes avaient arrêté leurs séances par manque de moyens ? J’avalais difficilement ces suggestions, au demeurant tout aussi crédibles que mes divagations excessives. L’élastique que je tenais entre les mains arrivait aux limites de sa résistance.

     *   *

    *

     Le 17 octobre, il se rompit. La migraine atteignait une violence indescriptible. Je délirais et j’avais les plus grosses difficultés, à me maintenir debout. Plusieurs fois, je tombais à terre, à demi conscient. N’écoutant que son cœur, ma dulcinée appelait une ambulance. Lors de ma crise précédente, le douze, la doctoresse avait rédigé un bulletin d’hospitalisation. J’avais refusé naturellement, mais ce soir-là, je suppliais Bibiche de faire ce qu’il fallait.

    J’étais tellement mal en point, que j’acceptais d’être admis aux urgences. Dans l’état où j’étais, je supportais difficilement la lenteur avec laquelle, on s’occupait de moi. Je n’avais que faire des examens de sang et tout le reste. Je ne demandais qu’une piqûre, rien d’autre, pour atténuer la violence de la douleur. Heureusement que Bibiche était restée à mes côtés. À travers le brouillard, qui réduisait ma vue, j’apercevais l’immensité de sa douleur sur son visage horrifié. J’avais honte de moi.

    Une fois encore, par ma faute, et j’en prenais conscience dès cette minute, je plongeais ma pauvre Bibiche dans un carcan abominable. Son mari à l’hôpital... Ses cours... Plus l’ouverture du centre... J’imaginais entre deux spasmes vaporeux, dans quelle galère elle allait se trouver. Vers une heure du matin, enfin, j’étais libéré de cette douleur cauchemardesque.

    Mon petit trésor, meurtri, bouleversé, prit congé de moi. Elle était d’autant plus retournée, que je venais de faire une sorte de crise d’épilepsie sur mon lit. Simple réaction nerveuse sans doute, mais qui dans le cœur de Bibiche, ressemblait à une alarme évidente. En m’embrassant, elle ne pouvait contenir ses larmes, qui venaient s’éclater sur mes joues brûlantes. Elle est restée un instant immobile, laissant couler l’immensité de sa douleur en un flot scintillant.

    Elle m’a serré les mains très fort, esquissant un sourire significatif. Elle n’en avait pas le courage, mais je sentais en cette seconde, son envie de tout envoyer balader. Son sourire, attestait de son espoir que cette alerte ne soit pas trop grave. Elle disparaissait dans le couloir, après un ultime petit signe de la main, comme elle le faisait si tendrement tous les jours. Seul, face à mon destin, je réalisais ce qui était en train de se passer. Il était un peu tard pour demander pardon. J’avais envie de pleurer, mais aucune larme ne pouvait sortir. Je contenais l’immensité de mon désarroi au fond de mon cœur, comme pour mieux me punir.

    C’était alors le début de la remise à l’heure de mes horloges. Pourquoi étais-je là ? La réponse m’est venue assez rapidement. Il était tard, j’étais sonné, mais j’avais oublié de me montrer absurde. Mes brûlures au mois d’août, la baisse de clientèle, sans compter différents petits bobos... Tout était là, pour me signifier de stopper les machines. Obnubilé par la rentabilité, j’avais négligé les messages du Tout-Puissant. Je restais de longues minutes à méditer, avant d’être transporté pour la nuit, dans le dortoir des urgences. Après quelques heures de sommeil, j’étais réveillé par l’interne de garde, du pavillon de neurologie. Une rapide anamnèse situait l’origine de mon problème. Très gentil, humain, il m’écoutait me délivrer du poids que j’avais sur le cœur. Je n’accusais personne d’autre que moi. J’aurais dû m’arrêter avant, ne serait-ce qu’une semaine. Il m’a examiné de la tête aux pieds. Les symptômes décrits ne l’interpellaient pas outre mesure.

    Visiblement, je n’étais pas un cas comme les autres. Je n’avais plus mal, je me sentais bien... Quelle était la bêtise à ne pas prononcer ? Ben oui, je ne me privais pas de la communiquer au docteur, qui me mettait face à mes responsabilités. Je voulais sortir ? D’accord, mais en signant une décharge de responsabilité envers l’hôpital. Le choc me remit les idées au clair.

    Ce qui motivait mon désir de rester, c’était la gentillesse avec laquelle ce jeune médecin m’avait parlé. Au travers de ce que je venais de lui narrer, concernant mon activité, il jugeait opportun d’insister sur le fait qu’un repos forcé serait salutaire. Cette fois, poussé par une force indicible, je n’opposais aucune résistance. J’avais vraiment besoin de lâcher prise.

    Je me sentais soudain, au bord de l’effondrement nerveux. Très respectueusement, il s’est effacé pour me laisser vider le trop-plein de mes larmes. Dieu me permettait de libérer le contenu de ces années d’intense émotion. En même temps que les larmes, je sentais le contenu négatif dans sa totalité, s’évacuer de mon corps. Durant de longues minutes, je ne pouvais rien contrôler. La chemise de nuit, les draps, tout était inondé du trop-plein émotionnel.

    C’était la première fois que je pleurais autant. Je n’avais même plus la force d’essuyer mon visage ni de me moucher. Les yeux rivés au plafond, je ne voyais même pas le visage de l’infirmière, qui venait me prendre la pression. La pauvre, pourtant habituée à ce genre de réaction, était totalement perdue. Désemparée, elle me parlait avec une infinie tendresse.

    Je crois bien que même si elle m’avait offert son corps, j’aurais été incapable d’en faire bon usage. Face à moi-même, je commençais à mesurer l’étendue de ma bêtise. À quoi me servait l’entêtement dont j’avais fait preuve ? Où me conduiraient mon acharnement et mon obstination ?

    J’avais tellement voulu prouver à tous qu’il était possible de repousser sans cesse ses limites, que j’avais honte de moi. Tout défilait dans ma tête. Bibiche avant tout. Puis le centre, mes patients, les dettes. Tout se mélangeait dans un imbroglio total. J’avais beau tourner le problème dans tous les sens, cette fois, je sentais bien que tout était foutu. Je m’étais battu comme un lion, pour tout fiche par terre. Tant d’années d’efforts et de sacrifices, envolées, anéanties par excès d’orgueil.

    Si j’en avais eu le courage, je me serais giflé. Je n’avais même pas la force de lever la main. Il m’a fallu de gros efforts, pour parvenir à m’asseoir dans le lit, afin de prendre mon petit déjeuner. Quelques instants plus tard, l’interne revenait me trouver. Il m’informait des dispositions qu’il venait de prendre me concernant. Assis à côté de moi, sur le bord du lit, il me parlait comme un père à son enfant. Les examens prendraient le temps qu’il faudrait. Ce qui voulait en dire long!

    Je n’opposais aucune résistance, à propos de la durée possible de mon séjour. Le mini lavage de cerveau, auquel je venais de m’astreindre, avait été bénéfique. J’étais à bout, transformé en loque véritable. J’acceptais spontanément d’être hospitalisé, pour une durée indéterminée. Une semaine, deux, un mois ? Je m’en moquais royalement. J’avais déjà en tête, le discours que je tiendrais à Bibiche à propos du centre : fermeture définitive ! J’en avais marre de lutter, fatigué de tirer les fonds de tiroirs pour payer les factures, blasé de me défoncer pour des prunes. La révolte était imminente.

    Durant une semaine, j’ai eu le temps de méditer en long et en large. J’aboutissais inexorablement aux mêmes conclusions, qui étaient d’arrêter notre activité. Mais visiblement, Le Tout-Puissant s’y opposait. La leçon avait porté ses fruits, je n’avais pas le droit de m’éclipser sur la pointe des pieds aussi facilement. Pour m’en convaincre, Il permettait à une bonne vingtaine de patientes et clients de m’appeler ou venir me voir.

    Ces élans de gentillesse me faisaient changer d’avis. Pour eux, je ne pouvais pas tourner le dos à mon destin. Sans parler de Bibiche ! Deux fois par jour, quand ce n’était pas trois, elle était là, docile, émouvante d’amour et de courage. Chaque fois que je voyais son petit minois, déchiré par la souffrance et l’angoisse, je me donnais les coups de pied aux fesses nécessaires, pour la remercier de son amour. Pour elle, plus que pour aucune autre personne, je reprenais l’envie de me battre.

    Son examen à préparer, le centre à ouvrir même partiellement, la maison, et par-dessus tout, les longues heures de solitude dans un lit désespérément vide ! À côté d’elle, j’étais un pacha ; les douleurs nocturnes en plus quand même. Car elles ne m’avaient pas encore totalement oublié ces coquines. Le désarroi de mon petit Bouchon était affreux. Je l’imaginais, repliée sur elle-même, n’osant parler à personne.

    Son combat me faisait honte. Entouré d’infirmières, je pouvais me promener dans le couloir, discuter, regarder la télévision et oublier ma détresse. À chacune de ses visites, je ressentais une violente douleur abdominale. Avais-je le droit de poursuivre ce repos ? Quand je regardais son visage, je ne pouvais que lire l’étendue de la désolation morale, dans laquelle elle se trouvait. Elle était si heureuse quelques semaines auparavant, que je ne pouvais me faire à l’idée de la décevoir en baissant les bras.

    Abattue, effondrée, je redoutais surtout une rechute dans son état de santé. Si d’aventure il lui était arrivé quelque chose, ni Dieu ni personne ne m’auraient interdit de réagir comme j’étais en mesure de le faire. Il fallait donc entretenir le faible espoir de survivre, au-delà de cette épreuve, que nous espérions bien être l’ultime. Ce n’était pas en restant collé au mur des lamentations, que nous pouvions entrevoir l’avenir. La dernière ligne droite était-elle enfin devant nous ? Jamais, même en ces instants cruels, nous n’avons douté que seule, la souffrance permettait de s’élever. Néanmoins, en étant réaliste, la seule élévation à laquelle nous assistions quotidiennement, c’était ma température à chacune de mes crises !

    Ce déclic me permettait de reprendre les forces nécessaires. L’incidence du mental sur la guérison, j’en avais parlé souvent à mes patients. Là, j’en mesurais grandeur nature, le bien-fondé. Je prenais conscience de la différence, entre conseiller et appliquer. J’avais quelques fois grondé les patientes, qui donnaient des signes de faiblesse, en s’abandonnant à la sinistrose prématurément. Quand elles me rétorquaient qu’elles n’avaient pas saisi les nuances et les subtilités des pensées positives, je faisais la moue. Confronté à mon tour à ces impérieux besoins, de gérer mon potentiel positif, je ne pouvais qu’en rougir de honte.

     *   *

    *

    En rentrant dans notre petit nid d’amour, une semaine après, j’ai éprouvé une sensation bizarre. J’avais l’impression d’être parti depuis des siècles. Tout me paraissait étranger. Mes objets personnels, autant que le mobilier, tout était revêtu d’un manteau nouveau. Je prenais conscience en ces minutes, du réel changement qui venait de s’opérer en moi. Redécouvrant les choses, pourtant intimes, j’avais la certitude, de porter désormais sur la vie un regard tout aussi novateur.

    La douche froide que je venais de prendre avait été salutaire. J’ouvrais les yeux non plus sur les autres, mais sur moi-même. Loin de m’insurger, je remerciais Le Tout-Puissant de sa miséricorde. Sans cette alerte, dont Bibiche ignorait tout encore de la gravité, je n’en aurais jamais été capable tout seul. J’étais en train de muer.

    Sortant de ma peau, tel un reptile, pour me glisser dans celle plus confortable du réel serviteur de Dieu. La vision que je venais d’avoir sur l’environnement, je l’avais sur mon for intérieur. Une purification profonde et salutaire éludait mon passé.

    Une renaissance ou le départ tant attendu ? Un peu les deux en même temps. J’éprouvais durant ces premières heures de nouvelle vie, comme une envie profonde et viscérale à me recueillir, méditer, et visualiser mon âme. J’entreprenais une sorte de voyage astral, mais en gardant les pieds sur terre. Tout me paraissait léger, presque impalpable. Je respirais lentement, comme pour économiser cet air vivifiant qui me pénétrait. Cette épuration hélas, me confortait dans mon désir de mettre un terme à cette pénible, mais noble aventure.

    Durant ces premières heures, j’avais vraiment l’impression de découvrir, tout ce qui avait échappé à ma vigilance jusqu’ici. J’accomplissais des gestes, anodins au demeurant, mais qui confortaient l’état d’esprit dans lequel je me trouvais. Par exemple, recaler les fréquences sur la télévision et le magnétoscope... Rechercher d’autres stations sur la radio... Il fallait à tout prix modifier les habitudes, changer, orienter différemment. J’avais besoin de prendre d’autres marques, de délimiter mon nouveau territoire.

    Le plus symptomatique ensuite, aura été de contempler tous les poèmes, que j’avais accrochés aux murs de notre chambre et du salon. Un regard sur le passé, qui tournoyait dans ma tête au hasard des lectures. Dégustant mon whisky, je faisais le tour de notre petit nid avec à chaque halte, l’omniprésent besoin de fuir à tout jamais, ce qui incarnait ce que j’avais envie d’oublier. Tout se mélangeait dans ma tête. Le passé, aux arcanes lugubres, le présent encore inconnu et l’avenir, qui me paraissait encore trop inaccessible.

    Chacune des étapes défilait ensuite dans ma tête. J’étais loin, perdu dans la nébulosité de mes songes. À l’instar du bébé, qui voit pour la première fois, je découvrais la vie. Quand j’ai repris contact avec la réalité, c’était ma tendre Bibiche qui était en face de moi. Au moment précis où mes pensées s’orientaient vers le futur, le visage angélique de ma dulcinée dessinait devant mes yeux, les images de ce que serait notre demain. Je l’aimais, d’un amour pourtant fort.

    Dès cette minute, je comprenais que je devais l’adorer. À la fois Muse, Ange gardien, Guide, elle était avant tout, ma force vive. Sans elle, je n’étais rien, qu’un pauvre bougre errant dans les décombres de son passé. Grâce à elle, et avec elle surtout, j’éprouvais le sentiment de m’élever, au-dessus de ces étendues pour les moins douloureuses. Adieu vagabond, adieu l’enfant capricieux ou l’adulte révolutionnaire. Bonjour la vie, telle que ma divine Bibiche me l’offrait avec tant de dévotion. Comme j’avais tendance à partir un peu trop vite, sur ce chemin enchanteur et merveilleux, Le Tout-Puissant me faisait comprendre que je devais garder le contact avec le monde extérieur. Rêver, s’évader au plus lointain des songes, c’était fabuleux. Il le savait bien, en nageant dans les délices de cette volupté, j’occultais les turpitudes !

    Rien de tel qu’une bonne céphalée par exemple, pour me remettre les yeux en face des trous! Merci, mon Dieu, j’avais sans doute oublié prématurément que je n’étais qu’un humain. Ma pauvre Bibiche, qui m’avait préparé un adorable festin, était contrainte de passer une bonne partie de la soirée à téléphoner partout, pour avoir une bouteille d’oxygène !

    Comme j’avais quitté précipitamment l’hôpital, je n’avais pas pu avoir l’oxygène, indispensable en périodes de crise. J’avais le bon pour en obtenir, mais le plus dur, était de dénicher une pharmacie ouverte. Heureusement, loin de paniquer, en dépit de la douleur aiguë je gardais le moral. Tout rentrait dans l’ordre et vers vingt-trois heures, la migraine était dissipée. Dommage pour les cuisses de grenouilles, le saumon et... le champagne !

    Le lendemain au centre, j’éprouvais exactement les mêmes vibrations que la veille à la maison. Je me sentais détaché de cet environnement matérialiste, dans lequel depuis trois ans bientôt, j’avais appris à devenir ce que je suis à présent.

    Trois ans de lourds sacrifices, de peines et de chagrins, mais aussi, de joies et de bonheur intenses. Le Gros Bébé, que j’avais adoré au point de le personnifier comme un enfant, ne me regardait plus de la même façon. Je sentais que la fin était proche. Un mois, deux ou six ? Je ne m’en souciais guère. La rupture était inéluctable, j’y étais préparé. N’ayant jamais eu pour principe de compter sur l’argent des autres, en l’occurrence celui de mon assurance perte de gain, je ne pouvais concevoir de vivre aux crochets d’une compagnie. Je savais surtout, que je devais impérativement respecter les consignes de repos et de sagesse, que le professeur m’avait données lors de sa visite la veille. Il m’avait fait vraiment peur. Bibiche savait que c’était sérieux, mais elle était bien loin de supputer à quel point.

    C’est en discutant avec une voisine, qui était venue me saluer, que je vendais la mèche. En entendant le verdict, Bibiche a manqué de peu d’avoir un malaise : début d’anévrisme ! Rien que ça ! Mon doux trésor. Je voulais t’épargner de tels aveux, t’éviter de te faire le souci que tu as pu te faire en apprenant cette terrible nouvelle. Voilà pourquoi, je savais que tôt ou tard, nous fermerions le centre. Je ne pouvais plus prendre le moindre risque.

    La clientèle ayant diminué de plus des trois quarts ne tarderait pas à s’effacer totalement. Loin de m’affoler, je m’en remettais spontanément à Dieu. J’étais certain qu’en m’aidant à tourner la page, et revêtir mon beau costume d’enfant pieux, Il me guiderait vers ce qu’Il jugerait bon. Fini les caprices et les apparentes bonnes paroles. Je m’imbibais de la volupté de la foi, sereine et absolue, celle que l’on ne trouve qu’à l’intérieur de soi.

    La connexion avec Le Tout-Puissant était cette fois bien établie. Jamais plus il n’y aurait de rupture. La lumière intérieure éclairerait désormais tous mes pas. C’est ce qui m’a permis de décider de m’investir non pas pour les autres, mais seulement pour Bibiche.

    Je ne pouvais plus prendre de clients momentanément ? L’occasion était rêvée, pour lui préparer sa petite salle de soins. Adorant le bricolage, je pourrais ainsi joindre l’utile à l’agréable. M’occuper l’esprit avant tout, mais en offrant à ma tendre épouse un adorable petit nid dans lequel je n’en doutais pas, elle ferait des merveilles. Ce désir masquait en vérité, un besoin paternel de dire au revoir à notre centre. En lui redonnant un aspect encore plus accueillant, je lui disais merci du fond du cœur. Merci de m’avoir offert, la possibilité de découvrir qui j’étais, et d’y avoir à bien des égards participé.

    Je savais que nous ne disposions plus que de quelques semaines ou mois dans le meilleur des cas. C’était pour cette raison que je tenais à l’embellir pour que les repreneurs éventuels puissent le chérir comme nous l’avions fait. Nous fêtions comme il convenait, le brillant succès de Bibiche à son examen. Ponctuant magistralement près d’une année d’intenses études, d’acharnement et d’obstination, partie du niveau zéro sur le plan de l’anatomie ou de la physiopathologie, elle se hissait fièrement sur le podium.

    Eh oui, j’étais vraiment fier, d’assister à la remise des diplômes, qui consacrait avec panache ma Bibiche au grade de «Major de promotion». Durant mon inactivité forcée, elle assumerait le relais auprès des rares patientes ayant eu l’amabilité de jouer le jeu.

    Je reprenais un brin d’activité vers la mi-décembre, mais sans conviction. Les premières séances, étaient de véritables tortures. Durant plus d’un mois, je devais me forcer ou presque. J’aimais ce que je faisais bien sûr, mais le moral n’y était pas. À l’instar du malade agonisant, rien ne pouvait occulter de mon esprit la fin prochaine. Je la sentais imminente. D’autant plus conforté dans cette vision, que malgré tout son amour et sa bonne volonté, Bibiche ne parvenait pas à se faire une clientèle potentielle.

    Les prémices de la mort du centre étaient là. Bibiche en prenait conscience et ne cherchait plus à tout faire, pour me donner l’illusion d’une reprise possible. Elle voyait bien qu’au fond, je n’avais plus envie de me battre. Je sentais que notre mission «Impossible» devait s’arrêter là. Pas une seconde, notre foi n’aura été ébranlée durant les derniers mois de notre activité au centre. Ce fut très dur, même cruel sur le plan émotionnel. Mais ces ultimes efforts étaient consentis avant tout, pour nous-mêmes. Nous nous devions d’honorer ce contrat moral, que nous avions pris vis-à-vis de notre «Gros Bébé».

    Nos chemins devaient prendre une autre direction, nous nous étions faits à cette idée. Différentes perspectives s’offraient alors. Ce qui nous confortait dans notre désir de ne rien regretter. Certes, nous n’avions pas toujours fait ce qu’il eut été souhaitable d’accomplir.

     *   *

    *

     En arrivant au terme de notre chemin de croix, en ce début juin 1996, nous relevions la tête. La décision définitive tombait comme un couperet. Le 8 juin exactement, je terminais mes derniers massages au centre.

    Le soir, en arrivant dans notre petit nid, je ne pouvais contenir mes larmes. Je m’étais préparé, je me croyais fort. Mon cœur ne pouvait se résoudre à tourner cette ultime page, sans manifester dignement ses sentiments envers le centre. Bibiche une fois encore, se montrait on ne peut plus merveilleuse. Cajolant son enfant meurtri, elle retenait ses larmes pour ne pas ajouter à mon chagrin, le poids du remords.

    Dans ses bras, tendrement enlacés, je laissais déferler l’immensité de ma douleur. Notre Gros Bébé n’aurait bientôt plus de Parents adoptifs. Après avoir été orphelin durant de nombreuses années, nous étions fiers de lui avoir redonné durant ces quatre années, un semblant de vie. Cette soirée d’adieux était loin d’être euphorique. Assis côte à côte sur le canapé, nous avions l’impression de fuir comme des lâches. Toutes les solutions avaient-elles été envisagées ? N’y avait-il pas au fond de nos pensées, l’illusion d’un espoir ? Hélas, trois fois hélas, ni Bibiche ni moi n’avions le courage de relever le défi. Nous disposions de trois semaines, pour tout débarrasser. L’idée d’être obligés de subir le carcan d’un énième déménagement nous donnait les frissons. Durant ces quatre années, nous avions accumulé une quantité impressionnante d’objets, dont il fallait nous séparer.

    Notre petit nid étant trop étroit pour contenir ce que les vastes locaux du centre avaient du mal à renfermer. Une autre épreuve s’annonçait : détruire une grosse partie de nos souvenirs. Nous n’avions pas le choix. Les yeux brouillés par les larmes, nous achevions cette soirée dans la tristesse et la mélancolie.

    Le lendemain matin, comme je le faisais tous les dimanches depuis ces deux dernières années, je prenais le chemin du Gros Bébé. Je voulais comme chaque fois, écrire sur mon ordinateur. Le courage me manquait. Promenant mon désespoir d’une pièce à l’autre, j’écoutais le centre gémir en silence. Chaque objet, local, semblait me parler. Je caressais les murs, les portes, en leur parlant comme à des humains. Je m’en voulais et leur demandais pardon.

    Je me croyais fort, trop sans doute. Mes limites étaient atteintes et le pauvre humain que j’étais, n’avait pas le courage de poursuivre le combat. Je me consolais un peu, en pensant que très bientôt, dans un autre local plus petit, la quasi-totalité de mon environnement serait à mes côtés.

    Pas question d’abandonner mon métier. Ne fut-ce que pour honorer la mémoire de notre Gros Bébé, je devais me battre encore, mais dans des conditions plus humaines. L’occasion venait de m’être offerte par un de mes patients et je n’avais pas hésité un instant. Nouveau départ ? Étape devais-je dire, en sachant que désormais, ma vie ne serait faite que d’éternelles remises en cause. Je disais adieu à notre centre, à notre Gros Bébé chéri, en même temps que je saluais respectueusement le quartier. Dès la semaine suivante, j’avais prévu de commencer les aménagements dans mon nouveau cabinet, au cœur de la Vieille Ville de Genève. J’étais tellement pris dans la conversation avec mon Gros Bébé, que je n’entendais pas arriver Bibiche.

    Émue, bouleversée, elle m’écoutait saluer cet univers attachant, dans lequel j’avais appris à devenir un homme. En commençant à défaire ce que nous avions mis tant de mois à construire, nos cœurs se serraient très fort. Combien de larmes avons-nous pu verser ? Du haut en bas, chaque pièce, le moindre recoin, nous regardaient comme pour nous supplier de rester.

    Entassant les cartons, éliminant le superflu, chaque minute dans ces préparatifs de départ était revêtue du même manteau d’amertume. Nous vivions nos dernières heures, dans ce macrocosme où l’Amour Divin était venu jusqu’à nous. Ce n’était pas la fin pour nous, mais bien au contraire le début d’une autre aventure. Nous avions ouvert notre centre, persuadés que nous étions prêts à offrir ce que nous prétendions. Parler d’amour, donner le meilleur de soi, accepter les différences et les gens tels qu’ils étaient ne pouvait pas s’improviser. Nous étions convaincus de l’authenticité de nos propos. L’aspect matérialiste de notre engagement n’échappait nullement au Tout-Puissant.

    Nous avions besoin de prendre conscience, de ce qui nous manquait le plus : le réalisme ! Nous parlions de notre foi, authentique au demeurant, sans la maîtriser à aucun niveau. L’intention était pure, la véracité l’était moins. La pureté de notre action s’était peaufinée au fil des jours, au travers des épreuves que nous avons subies. Nous avions à l’origine, confondu besoin vital d’agir et volonté de s’investir, dans une mission authentique. Pour sauver ma tendre Bibiche de la déprime, dans laquelle elle allait tomber de toute façon, j’aurais fait n’importe quoi. C’était une erreur, et Dieu nous l’a fait comprendre au cours de ces quatre années. Ce que nous comprenions avant tout, c’était la logique avec laquelle Le Tout-Puissant nous amenait à réviser nos théories. Il tissait sa toile avec subtilité, nous donnait les moyens, mais en surveillant de près le déroulement des opérations.

    Épreuve après épreuve, message après message, tant que je n’avais pas compris ses appels, Il me laissait mijoter dans le jus de mon ignorance. À l’heure de ce bilan avec Bibiche, en retraçant notre parcours, nous comprenions où était notre devoir. La mort dans l’âme, mais le cœur soulagé d’avoir fait la lumière en moi, je quittais le centre pour la dernière fois le dimanche 9 juin 1996. Tel un enfant s’accrochant aux pantalons de son père, en m’éloignant de mon Gros Bébé, je sentais comme une présence à mes côtés.

    Un lancinant appel semblait me poursuivre tel un écho. Comme pour me supplier de renoncer à cette décision irréversible. Par peur ou lâcheté peut-être, je refusais de tourner la tête. Je laissais couler mes larmes, que je ne cherchais même plus à dissimuler. Jamais le parcours jusqu’à la maison ne m’a paru si long. Loin de me sentir diminué, je me savais grandi.

    Plus grand dans ma foi, j’étais apte à comprendre les mécanismes qui lentement, métamorphosent la personnalité d’un être humain. Les théories dont je parlais, au cours de mes séances, avaient été l’une après l’autre, exposées grandeur nature. Comme avec mes poèmes, j’avais vécu les travers que je dénonçais. Parler d’idéologie, de conceptions, de foi ou d’autre chose, ne peut se faire qu’après en avoir compris les rouages et mesurer la profondeur. Croyant bien faire les choses on commet des erreurs. Apprendre à se déterminer, évitant les amalgames dans les idées en fonction de ses propres convictions et de sa foi, c’était ce qui représentait nos plus gros obstacles. Vivre pour soi et non pour les autres, assumer ses bonnes comme ses mauvaises actions sans chercher à culpabiliser autrui, là, c’était pour moi une réelle cure de Jouvence.

    Savoir admettre mes erreurs, mes défauts autant que mes qualités, faisait aussi partie de cet éveil de l’esprit, qui me permettait de dépasser mon ombre. Prendre conscience de soi, parvenir au sommet de l’éveil de l’âme, bien qu’éprouvant, est l’acte le plus honorifique et valorisant qui soit. L’essentiel, et nous le comprenions ensemble, était d’aller au bout des choses.

    Fuir, abandonner, délaisser à cause des difficultés est une lâcheté innommable. Nous avions certes perdu une bataille ? La guerre n’était pas terminée pour autant. Nous étions ruinés financièrement parlant, mais tellement riches dans nos cœurs, que la fin du centre devenait en ces minutes de méditation, le fer de lance de notre idéologie. Nous avons appris le pardon, l’amour, la tolérance, l’humilité, que nous étions décidés à valoriser quotidiennement.

    Avant de refermer une dernière fois les portes du Gros Bébé, nous avons pris le temps de savourer ce qui devenait soudain, non plus une défaite, mais une victoire authentique. Nous faisions pour cela, amende honorable, en visualisant notre parcours une dernière fois. L’idée de départ était louable, mais ne correspondait pas vraiment à notre foi véritable. Ce fut pour cette raison, que Le Tout-Puissant ne nous ménageait point. Lui en avait-on laissé le choix ? Au terme de ces trois années et demie de lutte, j’étais fier et comblé, de me sentir dans la peau de mon personnage.

    Le constat majeur qui résultait, était d’avouer que si ce combat avait été mené c’était avant tout, non pas pour épater les gens, mais pour leur prouver qu’on pouvait réussir. Le challenge à la base, n’était pas conçu pour tenter d’apporter réellement quelque chose à quelqu’un. Beaucoup plus insidieusement, pour enjoliver notre orgueil personnel. La méconnaissance de la foi, le besoin de se prouver que nous pouvions réussir, ont étayé le parcours du combattant auquel nous nous sommes astreints.

    La bannière de la fierté, bien avant celle de la dévotion, avait flotté dans nos esprits. Certes, nous nous étions pris au jeu et très vite, nous avons compris où était notre devoir. L’aura de la noblesse, que nous mettions en exergue aux yeux des gens, était voilée depuis le premier jour, par cette envie démesurée de paraître. Inconsciemment certes, mais les faits étaient là.

    Tout le monde ne peut se targuer d’être une Mère Teresa. La foi, l’altruisme, s’ils peuvent s’apprendre et se développer dans le cœur de chacun, ne doivent en aucun cas, cautionner une ambition personnelle. À l’impossible, nul n’est tenu certes ; mais ce n’est pas en regardant les autres manger qu’on peut se nourrir. Les pieds sur terre, la tête solidement ancrée sur nos épaules, main dans la main, nous quittions le centre, fiers d’avoir été au bout de nos possibilités, heureux de pouvoir aussi reconnaître nos limites.

    Faire le maximum, s’investir à corps perdu, nul ne pouvait démentir notre investissement sur ce plan. En dehors des détracteurs bien entendu ! Ils allaient être les premiers à nous jeter la pierre. Pensant très fort que nous avions baissé les bras comme des lâches. De cela, nous n’en avions rien à faire. Nous avions la conscience tranquille. Jusqu’à preuve du contraire, nous avions été à l’extrême limite de nos forces.

    Ces limites précisément, que tout le monde outrepasse en permanence. Nous étions certes peinés, déçus aussi, mais heureux d’avoir perçu les subtilités qui métamorphosent un «Mouton» en individu. Être «ZEN», sans le savoir, nous options pour cette sagesse. Loin de s’apparenter à une doctrine ou idéologie plus ou moins erronée, ce courant spirituel incarne ce que l’être humain devrait savoir. Nous l’avons appris en travaillant comme des forcenés.

    Pour aller au bout de notre passion, sans nous préoccuper des autres. Penser et agir en fonction de nos désirs et non pour satisfaire ceux de la société. Tels ont été les paramètres générateurs des valeurs telles qu’aujourd’hui, nous les revendiquons. Quel que soit la force, l’instruction, le pouvoir ou la notoriété, ce qui prime par-dessus tout, c’est la faculté de compréhension, de tolérance et d’amour pour les autres. Cela ne signifie pas vouloir imposer nos idéaux.

    Trop souvent, et je l’ai appris au cours de la première partie de mon sacerdoce, les personnes pourvues d’un savoir, cherchent par tous les moyens à l’imposer aux gens. Même si elles prétendent le contraire en cherchant à se justifier, le drame est qu’elles entraînent dans leur sillage, celles et ceux qui en font leurs idoles. Inéluctablement, et ce sont les pièges à éviter, en transmettant un savoir, on s’implique personnellement.

    La «Petite touche personnelle», qui modifie sensiblement l’orientation des projets de base. À l’école, à l’armée, puis dans la vie de tous les jours, partout l’on se trouve confronté à ces schémas. Il ne faut pas bien entendu, tomber dans l’excès inverse et devenir marginal ou contestataire. Il conviendrait que tout un chacun se prenne en charge, en fonction de ce qu’il ressent au fond du cœur. L’harmonie ne peut pas s’obtenir au travers des autres. Comprendre que nous rencontrons en permanence les gens, les situations, dans le seul but d’épurer notre âme, c’est ce qu’il y a de plus difficile.

    Nous projetons sur les autres, le film de notre existence. Pour étayer ceci, je prends pour exemple la carte, plus exactement la «Lame» du Zen «Les Projections». En substance, je cite, elle précise avec logique, que «Le film que nous voyons dans une salle de cinéma ne se trouve pas sur l’écran, mais dans le projecteur». À l’instar du film, nous ne voyons sur le visage des gens que nous côtoyons, que notre propre Moi Intérieur. Encore une fois, quand nous nous trouvions Bibiche et moi à ce stade de notre vie, nous ignorions tout du Zen. Pourtant, maintenant, je peux constater avec bonheur que tout dans mon comportement de l’époque, durant cette traversée du désert, se conformait à cette sagesse.

    Chaque séance permettait aux patients de prendre conscience de leur pouvoir intrinsèque. Loin de chercher à les écraser ou les impressionner, je leur donnais au contraire ce qu’il fallait pour prendre connaissance de leur propre valeur. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, à l’aube de la seconde partie de mon sacerdoce, je suis bien décidé à faire plus encore pour valoriser l’individu.

    Mon rôle se limite à aider les gens, non à les prendre en charge. Grâce aux exercices Taoïstes, et la puissance de régénération qu’ils procurent, chaque patient est capable de recouvrir son bien-être. Avant tout traitement, je fais en sorte de leur prouver cette force. Une fois admis, là, on peut parler de thérapie. Je refuse de m’acharner comme j’ai pu le faire jadis. Tant que la personne n’a pas compris ni admis, le bien-fondé de l’utilité de se sentir soi-même en état de réceptivité, elle n’aboutira à rien. Pour y parvenir, il n’est pas nécessaire d’assister à des quantités de «Colloques» ou autres séminaires, au cours desquels le plus souvent on assiste à un déferlement d’autosatisfaction. Les miracles, s’ils existent, sont issus et ne proviennent que de la seule volonté de l’individu, à échapper à ce qu’il considère comme un calvaire.

    Plus la personne admet qu’elle seule, est apte à modifier son environnement quotidien, plus elle se détache des contraintes de vivre en conformité avec ce que «L’humanité» souhaite. La discipline, le respect, l’amour des autres, c’est au fond de nous-mêmes qu’il faut en puiser les fondements. Dieu est là pour tous, et il n’est pas nécessaire de le crier sur les toits pour se sentir un digne apôtre (Suite sur le livre)

     *   *

    *

     

     

     

     

     
    « Déliquescence de l'Humanité

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires

    Vous devez être connecté pour commenter